Itinéraire du régiment Royal-Deux-Ponts au sein du corps expéditionnaire français en Amérique (1780-1783)1

Edern Hirstein

Isabelle Laboulais


§    1

Au départ de Brest, le convoi se trouve retardé, d’abord par des vents contraires, puis par une avarie que subit l’un des bateaux2. Le 2 mai 1780, le convoi quitte finalement le port de Brest en direction du sud. La destination précise n’est connue que de l’état-major autour du comte de Rochambeau. La flotte devait se diriger vers Charleston en Caroline du Sud afin de porter secours aux forces américaines assiégées, mais la capture d’un corsaire, le 18 juin, apporte la nouvelle de la prise de cette ville par les Anglais. De Ternay qui commande l’escadre transportant le corps expéditionnaire de Rochambeau se dirige ensuite vers le nord, vers Newport. La voie du sud, à travers l’Atlantique, est préférée aux autres options. Il s’agit certes de la voie « la plus longue, celle des navires de commerce3 », mais aussi de la voie la plus sûre, grâce à laquelle de Ternay espère éviter les escadres anglaises4.

§    2

Les 12 et 13 juillet, le convoi débarque les troupes à Rhode Island. Le corps expéditionnaire y séjourne quelques temps en raison de l’état de santé des troupes – un nombre élevé d’hommes est atteint par le scorbut –, mais aussi parce que les Anglais bloquent la mer. Le corps expéditionnaire prend finalement ses quartiers d’hiver à Newport. En mars 1781, le Chevalier Destouches, chef d’escadre, organise deux expéditions vers la baie de Chesapeake. Entre temps, Rochambeau et plusieurs de ses aides de camps participent à la « Conférence de Wethersfield » au cours de laquelle ils rencontrent le Général Washington et conviennent de la suite des opérations. Le corps français doit rejoindre l’armée américaine aux alentours de New York, en vue d’une opération contre cette ville.

§    3

Le 10 juin 1781, les troupes quittent l’île de Newport sur des embarcations et se dirigent vers Providence. La marche des troupes jusqu’au camp de l’armée américaine, à Phillipsburg, dure du 18 juin au 6 juillet 17815. Pour ce faire, le corps expéditionnaire est réparti en quatre divisions qui se suivent à une journée de marche. Le régiment Royal-Deux-Ponts fait partie de la deuxième division, ce qui explique que Flohr retienne le 19 juin comme date à laquelle les troupes quittent Providence, et pas le 18. Les indications, les étapes, le nombre de kilomètres parcourus, suivent grosso modo celle de ce plan, jusqu’à Ridgebury dans le Connecticut. Ce changement de plan est dû à une décision de Washington. Les Français marchent ainsi vers le sud-ouest en direction de Phillipsburg, au lieu d’aller à Peekshill près de King’s Ferry, comme cela était prévu à l’origine. Le trajet de Ridgebury jusqu’à Phillipsburg prend deux jours6.

§    4

Flohr indique qu’ils atteignent Philippsburg le 9 juillet, les autres divisions arrivent le 8 ou dans les jours qui suivent. L’ensemble de l’armée coalisée, composée d’Américains et de Français, exerce une pression forte sur la garnison anglaise à New York. Quelques escarmouches ont lieu entre les avant-gardes des deux camps. L’une d’elle implique la légion de Lauzun et le corps de dragons de Delancey, elle a lieu le 5 juillet.

§    5

Une attaque contre New York reste l’option privilégiée par Washington jusqu’à l’arrivée de la dépêche de l’amiral De Grasse, le 14 août. Il informe Rochambeau et Washington qu’il se dirige vers la baie de Chesapeake. Alors qu’il avait reçu l’ordre d’opérer dans les Antilles, une opération contre la baie de Chesapeake, qui se trouve bien plus au sud que New York, semble lui permettre de rentrer plus vite. Ce choix déterminant s’explique essentiellement par l’arrivée de de Grasse qui confère aux alliés l’appui maritime nécessaire pour encercler Cornwallis, retranché à Yorktown. New York est d’ailleurs mieux défendu par Clinton qui compte plus d’hommes sous ses ordres que son subalterne en Virginie.

§    6

Lorsque le corps de Rochambeau quitte Phillipsburg, il est censé rejoindre au plus vite Lafayette et Daniel Morgan au devant de Cornwallis, à Williamsburg. Pour ce faire, les troupes doivent passer la rivière Hudson, marcher jusqu’à la baie de Chesapeake pour embarquer à Head-of-Elk sur des transports en direction de Williamsburg. D’après Berthier, l’armée est séparée en deux colonnes jusqu’à King’s Ferry (bac en face de la forteresse de Westpoint au nord-ouest du camp7). Flohr avance vraisemblablement avec la deuxième colonne, celle de gauche (composée du train logistique et de l’artillerie), mais son trajet ne correspond pas exactement à celui décrit par Berthier. Les deux ailes de l’armée se rejoignent à Hunt’s Tavern (Honds Tavern chez Flohr) le 21 août 1781, avant de passer le fleuve le 24. À partir de Haverstraw, le trajet décrit par Flohr correspond sensiblement à celui de l’ensemble de l’armée jusqu’à Wilmington (port situé à l’embouchure du fleuve Delaware, au-delà de Philadelphie8).

§    7

Après le passage de l’Hudson, les indications de Flohr correspondent, à un ou deux miles près, à l’itinéraire indiqué par les officiers, excepté le trajet entre Whippany et Bullion’s Tavern de 16 miles, que Flohr considère de 6 miles. Il est possible que cette différence plutôt forte soit liée à une erreur de transcription. Une deuxième divergence – celle du trajet entre Wilmington et Head-of-Elk estimée à 21 miles par les officiers et à 12 par Flohr – peut s’expliquer par le fait que Flohr n’a pas à embarquer directement sur les transports qui étaient peut-être plus éloignés.

§    8

En raison du manque de transport, seule une petite partie de l’armée embarque à Head-of-Elk, pour être transportée jusqu’à Yorktown. Flohr et la majeure partie de son régiment continuent la marche jusqu’à Annapolis qu’ils atteignent le 18 septembre. À Annapolis, des transports envoyés par De Grasse embarquent la majeure partie des troupes mais la place manque pour le train logistique et la grosse artillerie. Alors que Flohr débarque à « College Creek » (Kolletz Kanting chez Flohr) et arrive devant Yorktown le 25 septembre, le train logistique doit s’y rendre à pied. Le Royal-Deux-Ponts occupe dans la ville une position sur l’aile gauche de l’armée coalisée. Une fois Cornwallis défait, les troupes restent cantonnées à Williamsburg du 17 novembre 1781 jusqu’au 2 juillet 1782, pour les quartiers d’hiver.

§    9

Au départ de la Virginie, il s’agit pour le Royal-Deux-Ponts de se repositionner en face de New York, de menacer la garnison anglaise pour éviter le déploiement de celle-ci vers le sud ou vers les îles. Néanmoins, la reddition de Cornwallis met fin aux combats en Amérique du Nord, les Anglais évacuent Savannah et Charleston (tout le sud) pour se concentrer sur New York. La défaite anglaise en Amérique du Nord est consommée, mais les combats se poursuivent dans les Antilles, en Inde et en Europe (Gibraltar, Minorque) afin d’obtenir des avantages en prévision du règlement de la paix, qui semble tout proche à cette date. Comme l’indique Flohr, l’armée française marche alors répartie en quatre divisions (elle suit grosso modo la route prise par Berthier avec le train logistique à l’aller). Comme l’indique l’étape d’un mois (25 juillet -25 août) à Baltimore, les troupes ne sont pas pressées par le temps. Le 25 septembre, un camp est monté près entre Crompond et Hunt’s Tavern. Le 22 octobre, la marche reprend vers Boston. Sur ordre du Roi et du ministre de la Guerre, le corps expéditionnaire est sommé de quitter l’Amérique du Nord pour se rendre dans les Antilles, à l’aide de la flotte qui se trouve Boston, et cela pour envisager avec l’Espagne la prise de la Jamaïque. Une opération contre la l’île était prévue de longue date, mais la défaite de la flotte française aux Saintes (9-12 avril 1782) avait compromis toute tentative sérieuse contre les Anglais dans les Antilles. Le déplacement du corps expéditionnaire répond dès lors davantage à des considérations défensives.

§    10

Les troupes arrivent à Boston le 6 décembre 1782. Les trajets indiqués par Flohr correspondent sensiblement à ceux du « Plans des différents camps occupés par l’armée aux ordres de M. le Comte de Rochambeau (campagne de 1782)9 ».

§    11

Placée sous les ordres du Marquis de Vaudreuil, la flotte quitte Boston les 25 et 26 décembre 1782, elle se dirige vers le sud, en direction de Porto-Cabello au Venezuela, où elle doit attendre les ordres ou la paix imminente. Les difficultés rencontrées en mer provoquent de nombreuses avaries. Elles conduisent l’amiral à autoriser certains navires, dont l’Ile de France où se trouve Flohr, à faire halte à Curaçao, une île hollandaise, pour effectuer les réparations nécessaires et se procurer des vivres. Quelques jours après la réunion de toute l’armée à Porto-Cabello, le 24 mars 1783, la proclamation de paix est annoncée aux troupes.

§    12

Le 3 avril, la flotte quitte le Venezuela pour Saint-Domingue et Cap-Français, où doit être organisé le trajet retour. Le 15 avril les troupes débarquent à Cap-Français. Le 4 mai suivant, le convoi quitte l’île de Saint-Domingue.

§    13

Le 17 juin une partie de la flotte arrive dans le port de Brest où le Royal-Deux-Ponts débarque le 20 juin.


 Notes

1. Les principaux éléments de cet itinéraire sont tirés de Rice (Howard C.), Brown (Anne S. K.) (trad. & éd.), The American Campaigns of Rochambeau’s army, 1780, 1781, 1782, 1783, Princeton/Providence, Princeton University Press/Brown University Press, 1972.
2. Cet incident est évoqué par le Vicomte de Noailles : «  On va mettre à la voile ; mais la Comtesse de Noailles aborde maladroitement le Conquérant, qui lui emporte son mat de beaupré et l’endommage au point qu’on est obligé de faire rentrer ce navire au port afin de le réparer. 250 hommes du Royal Deux Ponts qu’il transporte vont donc encore rester », cf. Vicomte de Noailles, Marins et soldats français en Amérique pendant la guerre de l’Indépendance des États-Unis (1778-1783), Paris, Librairie académique Perrin et Cie, Paris, 1903, 2e édition, p. 168-169.
3. Bourgerie (Raymond), Lesouef (Pierre), Yorktown 1781, La France offre l’indépendance à l’Amérique, Paris, Economica, Coll. Campagnes et Stratégie, 1992, p. 35.
4. « Il paraît que cette route, si fort au sud, avait été indiquée par la cour pour éviter les Anglais », note Claude Blanchard dans son journal : La Chesnais, (Maurice) (éd.), Guerre d’Amérique, 1780-1783, Journal de campagne de Claude Blanchard, commissaire des guerres principal au corps auxiliaire français sous le commandement du lieutenant général comte de Rochambeau, Dumaine, Paris 1881, p. 20.
5. Cette marche est décrite précisément dans le «  Projet pour porter l’armée de Providence à King’s Ferry à la Rive gauche de la rivière du nord en 17 jours de marche y compris trois séjours », il s’agit de la copie d’un document repris par Louis-Alexandre Berthier et reproduit dans le deuxième volume de Rice, Brown, The American Campaigns of Rochambeau’s Army..., op. cit., p. 9-17).
6. Détaillé dans Ibid.
7. Selon les «  Itinéraires des marches que l’armée a faits pour se rendre du camp à Philipsburg au camp devant Yorck en 1781. Premier Cahier, de Philipsburg à Whippany, 86,5 miles », dans Ibid.
8. « Itinéraire des marches que l’Armée a fait pour se rendre du Camp à Philipsburg au Camp devant Yorck, troisième cahier, de Princeton à Head-of-Elk, 89,5 miles », dans Ibid.
9.Ibid.

 Cite this page

Edern Hirstein, Isabelle Laboulais, « Itinéraire du régiment Royal-Deux-Ponts au sein du corps expéditionnaire français en Amérique (1780-1783) », dans Isabelle Laboulais (éd.), Flohr. Le voyage en Amérique, ARCHE UMR3400, 2020 (édition numérique : <https://estrades.huma-num.fr/flohr-expo/en/article/fr-article-3-1.html>, consulté le 13-09-2024)