Révolution américaine et guerre d’Indépendance

Isabelle Laboulais


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En 1763, la fin de la guerre de Sept Ans apparaît comme un gage de sécurité pour les colonies britanniques d’Amérique du Nord puisqu’à partir de cette date la France ne dispose plus d’aucun territoire sur cette partie du continent. La même année, une proclamation royale réserve aux Indiens la région qui sépare les Appalaches du Mississipi et ouvre la Floride ainsi que le Québec à la colonisation. Cette décision irrite les colons installés en Amérique car elle les prive de terres très convoitées, notamment celles de la vallée de l’Ohio. Cette mesure favorise cependant le développement de la Floride où de riches Britanniques investissent. Les treize colonies britanniques établies sur le territoire américain sont alors régies par les principes du pacte colonial et le régime de l’exclusif qui réservent à la métropole le contrôle et le quasi monopole du commerce extérieur de ces treize colonies. Après la guerre de Sept Ans, le gouvernement anglais tente de faire supporter une partie des charges générées par le conflit qui vient de s’achever à ses territoires d’outre Atlantique. De nouveaux impôts y sont créés en 1764 et 1765 (sur le sucre, le thé, le papier imprimé, etc.). Cette politique suscite très rapidement des protestations qui, très vite, prennent une signification politique. Au-delà, du rejet de la politique fiscale, c’est un nouveau mode de gouvernement qui est recherché.

§    2

Bernard Cottret regarde la période 1763-1773 comme celle de « la crise de l’Empire1 ». Les colons se considèrent comme des citoyens anglais et estiment qu’aucun impôt ne peut leur être imposé, sans leur consentement ou celui de leurs délégués. Or les colons ne participent pas aux élections anglaises et seules les assemblées territoriales sont habilitées à s’exprimer en leur nom. Le gouvernement britannique reste sourd à de tels arguments, pourtant directement inspirés de la culture politique des Lumières européennes. À ses yeux, le Parlement de Londres représente tous les sujets de la couronne. Très vite, le gouvernement britannique prend des mesures répressives qui portent atteinte à la liberté d’expression ou la liberté de réunion des colons. Le roi d’Angleterre et son ministre North envoient même des renforts militaires en Amérique ce qui provoque les premiers incidents sanglants à Boston dès le mois de mars 1770. Les colons anglais répliquent alors par le boycott des marchandises anglaises soumises aux nouveaux droits si bien que le gouvernement se trouve obligé de supprimer des taxes devenues inutiles.

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En décembre 1773, à Boston, des colons contestataires qui se sont nommés « fils de la liberté » s’en prennent aux navires de la compagnie des Indes, qui a reçu le monopole de la vente de thé ; ils jettent toutes leurs cargaisons à la mer. En guise de représailles, Londres décide de fermer le port de Boston, d’interdire son négoce et de lui imposer une lourde amende collective. Solidaires de leurs concitoyens du Massachusetts, les colons répliquent par la convocation d’un congrès réunissant douze des treize colonies qui se tient à Philadelphie en septembre 1774. Ils désignent George Washington comme général en chef des Américains. La majorité des délégués n’entend pas rompre avec la métropole. Ces hommes se contentent de rappeler solennellement les droits constitutionnels de tous les citoyens et confirment le boycott des marchandises britanniques. De véritables dispositifs insurrectionnels se mettent pourtant en place : des comités de correspondance et de vigilance sont constitués, des milices armées sont organisées. Ainsi, progressivement, les colons passent de la revendication constitutionnelle à l’ébauche d’un contre-pouvoir insurrectionnel.

§    4

Le 18 avril 1775, à Lexington, le commandement anglais cherche à s’emparer d’un dépôt d’armes et de munitions établi à Concord par des comités patriotiques. Les soldats sont accueillis à coups de fusils et obligés de se replier à Boston. Le 17 juin, une véritable bataille rangée se déroule aux portes de la ville, les soldats anglais subissent à nouveau de lourdes pertes. Lord North, le ministre anglais, tente de négocier avec Franklin qui s’est déplacé jusqu’à Londres, mais le « congrès américain », réuni en décembre, repousse ses propositions et décide la levée d’une armée continentale qu’il place sous les ordres de George Washington. À la fin de l’année 1775, les premières constitutions des Treize colonies américaines sont rédigées. Elles constituent l’acte émancipateur par excellence pour les treize colonies érigées en nouveaux États ; ces textes reposent sur le principe de la stricte séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Tous ces textes sont précédés d’une Déclaration des droits qui garantit les droits des individus et pose les limites que les citoyens ne peuvent franchir. Ces textes donnent à ces nouveaux principes une valeur et une portée universelle. Le 4 juillet 1776, le congrès proclame l’union des treize colonies et adopte le texte de la Déclaration d’indépendance proposé par Jefferson. Désormais les « Colonies unies » ont « le plein pouvoir de faire la guerre, de conclure la paix, de contracter des alliances, d’établir des relations commerciales, d’agir et de faire toutes autres choses que les Etats indépendants sont fondés à faire. ».

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Le décalage entre le début des affrontements militaires (le 19 avril 1775) et la proclamation de l’indépendance (le 4 juillet 1776) s’explique par la volonté tenace des élites américaines de parvenir à un compromis avec la Grande-Bretagne. Le tournant intervient suite au débat de fond que suscite le pamphlet rédigé par Thomas Paine, Common Sense. Dans ce texte, le radical anglais explique aux colons que leur rupture avec la métropole ne peut être que bénéfique, il la regarde comme vecteur de liberté mais aussi de prospérité. Le succès de ce texte suscite la rédaction de nombreuses pétitions qui expriment la défiance des Américains du Nord envers le roi, le peuple et le Parlement britanniques. La Déclaration d’Indépendance bénéficie donc d’un fort soutien populaire.

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À cette date, les forces en présence sont très inégales : d’une part, le général Howe commande 35 000 soldats anglais et bénéficie d’une flotte importante ; d’autre part les  Insurgents ne disposent d’aucune armée régulière, d’aucun arsenal, d’aucune capacité industrielle pour produire des armes et des munitions. Il est donc indispensable pour eux de trouver une aide extérieure et c’est vers la France qu’ils se tournent. À la fin de l’année 1776, Franklin, un représentant du Congrès américain autour duquel s’est constitué un comité de correspondance secret depuis 1775, se déplace à Paris pour solliciter cette aide, il reçoit un accueil assez enthousiaste. Voltaire l’accueille à l’Académie des sciences (Franklin est l’inventeur du paratonnerre), Louis XVI lui accorde une audience à Versailles et, suite à sa venue, de jeunes nobles – dont La Fayette, Ségur et Lauzun – s’embarquent avec lui pour combattre aux côtés des Insurgents. Toutefois, Vergennes, le ministre des Affaires étrangères, ne souhaite pas que la France intervienne trop tôt, la France se contente donc à cette période de fournir des armes à ses nouveaux alliés, par l’intermédiaire de Beaumarchais qui agit sous couvert de la compagnie de commerce Roderigue Hortalez et Compagnie. Cette aide discrète dure deux années.

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En octobre 1777, les troupes de Washington remportent un important succès à Saratoga, obligeant 6 000 soldats anglais à capituler. Cet événement provoque l’internationalisation du conflit. Le 17 décembre 1777, Louis XVI reconnaît officiellement l’indépendance américaine et le 6 février 1778, il signe un traité d’amitié et de commerce entre la France et l’Amérique ainsi qu’un traité d’alliance contre l’Angleterre. Pour la France, cette guerre constitue une revanche face à l’Angleterre victorieuse en 1763, autant qu’un soutien à la cause américaine. En avril 1779, par le traité d’Aranjuez, Vergennes obtient l’engagement de l’Espagne contre l’Angleterre, en lui promettant la restitution de Minorque, de Gibraltar et de la Floride. Ensuite, il s’emploie à constituer la ligue des neutres : il regroupe la Russie, le Danemark, la Suède, la Prusse, le Portugal, l’Autriche et le royaume des Deux-Siciles derrière la revendication de la liberté des mers. Pour combattre la contrebande, les Anglais ont tendance à abuser du droit de visite sur les bateaux qui naviguent sur l’Atlantique, les victimes de cette attitude hégémonique de l’Angleterre se regroupent donc pour s’opposer à ce qu’elles considèrent comme un abus de pouvoir2.

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Sur le continent américain, les autochtones participent également à la guerre d’Indépendance. Les Anglais, comme les Américains s’efforcent d’obtenir leur allégeance sans pour autant renoncer aux méthodes violentes pour accaparer leurs terres. L’intervention française fait naître un espoir chez les Outaouais, les Shawnees et les Cherokees qui voient les Français comme des alliés potentiels pour faire barrage à l’expansion anglo-américaine3. Cependant, cette question suscite de fortes dissensions entre les nations indiennes. Certaines craignent que l’indépendance favorise l’expansion des pionniers vers l’Ouest et nombreuses sont celles qui s’engagent aux côtés de la Grande-Bretagne qui leur fournit un équipement abondant.

§    9

L’intervention militaire française, complète le dispositif diplomatique qui élargit la dimension du conflit. Dans un premier temps, l’intervention militaire française est essentiellement maritime. La lutte sur mer demeure longtemps indécise, puis elle permet aux amiraux français de remporter quelques succès incontestables. Tandis que Suffren s’illustre sur les côtes de l’Inde, d’Estaing et Guichen affrontent les Anglais dans la mer des Antilles, de Grasse réussit à s’emparer de Tobago, occupant de nouveau les anciennes possessions de la France. En 1780, Washington obtient de la France l’envoi d’un corps d’infanterie commandé par Rochambeau. Cette décision donne une ampleur plus importante à l’intervention française. Les 6 000 soldats stationnés dans le Rhode Island en 1781 sont censés se joindre aux effectifs de Washington, descendre la vallée de l’Hudson pour attaquer New York où les Anglais concentrent l’essentiel de leurs forces. Apprenant que l’escadre de l’amiral de Grasse a réussi à pénétrer dans la baie de Chesaepeake, Washington et Rochambeau décident de s’appuyer sur ces navires pour attaquer les Anglais de Cornwallis installés à Yorktown sur les bords de la baie4. Ils réussissent à effectuer ce déplacement de plus de 600 km vers le sud sans alerter l’ennemi. Ils regroupent toutes leurs forces maritimes et terrestres, bloquent Cornwallis et ses hommes. Le général britannique est obligé de se rendre le 19 octobre 1781 avec 6 000 soldats, 2 000 matelots, 160 canons et 22 drapeaux.

§    10

En Angleterre, la situation devient de plus en plus difficile. Le pays a perdu treize colonies et ne tient plus que New York, Savannah, Charlestown et Halifax, ainsi que la Floride orientale. Elle a également perdu Minorque et de nombreuses îles des Antilles, elle n’a pas un seul allié et la guerre a déjà coûté 100 millions de livres sterling. À Londres, le 5 mars 1782, les Communes demandent l’ouverture de pourparlers avec les colonies révoltées. Lord North doit démissionner, un nouveau cabinet composé de Fox et de Shelbourne entreprend de négocier. Ils réussissent à traiter séparément avec les Insurgents qui se désolidarisèrent des revendications de l’Espagne. Le 30 novembre 1782, au cours de préliminaires de paix, l’Angleterre reconnaît l’indépendance des treize colonies et leur accorde, par la fixation de la frontière, tous les territoires situés au sud des grands lacs et à l’est du Mississipi. Par des concessions inattendues, l’Angleterre réussit à limiter au maximum les avantages qu’elle doit consentir à la France et à ses alliés. Les autochtones sont les grands perdants du traité de Versailles signé le 3 septembre 1783. Comme les esclaves noirs, ils font partie des « oubliés de la Révolution américaine5 ». Le traité comprend trois autres accords : une convention anglo-hollandaise réglant la restitution réciproque des conquêtes et des prises ; une convention anglo-espagnole en vertu de laquelle l’Espagne récupère Minorque et la plus grande partie de la Floride ; une convention anglo-française qui n’apporte à la France que quelques satisfactions territoriales : la restitution de ses établissements au Sénégal, à Tobago et à Sainte Lucie aux Antilles, Saint Pierre et Miquelon et le droit de fortifier Dunkerque et les comptoirs de l’Inde. La guerre d’Indépendance américaine donne une nouvelle dimension géographique aux relations européennes. De 1778 à 1783 le conflit se déroule en Amérique du Nord et aux Antilles entre l’Angleterre, la France et l’Espagne. Cette guerre extra-européenne voit le triomphe des Insurgents. Pour la première fois, une nation naît de la seule volonté des citoyens qui la composent, et inscrit dans une charte fondatrice les principes fondamentaux de toute démocratie politique.

§    11

La Révolution américaine et la guerre d’Indépendance sont deux événements qu’il est difficile de dissocier l’un de l’autre. L’un conduit à l’indépendance de la nation et l’autre à l’établissement d’un régime républicain6. Une fois cela posé, il importe de rappeler que le choix de l’une ou l’autre de ces expressions n’est pas dénué de signification7. Les historiens français ont longtemps utilisé « indépendance américaine » ou « guerre d’Indépendance » pour évoquer les événements survenus en Amérique entre 1770 et 1787, en insistant davantage sur les faits militaires que sur les bouleversements politiques. En revanche, les historiens américains parlent plus volontiers de « révolution américaine »8. De manière significative, on peut rappeler le cas du livre de John Richard Alden intitulé dans son édition originale The American Revolution 1775-1783 et traduit en français en 1965 La guerre d’Indépendance9. Ces nuances sémantiques touchent au sens que l’on entend donner au mot révolution10. Marcel Dorigny en a suggéré une lecture stimulante et convaincante en 2004 : « Si par Révolution, nous entendons une mutation brusque, violente ou non, dans le système de gouvernement d’une société donnée, assurément la naissance de la République américaine fut une Révolution, la première d’un cycle qui transforma, en moins d’un demi-siècle, une bonne partie des régimes politiques du Nouveau Monde et de l’Europe de l’Ouest. En rejetant la domination coloniale britannique, les Insurgents n’ont pas seulement érigé en État souverain des territoires jusqu’alors possessions de la couronne d’Angleterre : ils ont créé un nouveau mode de gouvernement et proclamé des principes de portée universelle ; et cela même si leurs ambitions initiales étaient de portée plus modestes11. ».


 Notes

1. Cottret (Bernard), La Révolution américaine. La quête du bonheur, Paris, Perrin, 2003, p. 15-18.
2. Villiers (Patrick), « La bataille pour l’Atlantique de Louis XIV à Louis XVI », Dix-Huitième siècle, « L’Atlantique », n° 33, 2001, p. 101-117.
3. Havard (Gilles), Vidal (Cécile), Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2003, p. 465-467.
4. Caron (François), La guerre incomprise ou la victoire volée. Bataille de la Chesapeake - 1781, Paris, Service historique de la Marine, 1989.
5. Marienstras (Élise), Vincent (Bernard) (dir.), Les oubliés de la révolution américaine, femmes, indiens, noirs, quakers, francs-maçons dans la guerre d’Indépendance, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1990
6. La Constitution de 1787 expose l’organisation et les fondements idéologiques de nouvel État fédéral ; en premier lieu la liberté, la croyance en Dieu et le droit au bonheur.
7. Pour un bilan historiographique très éclairant sur les différentes manières dont ce moment a été traité, on verra Portes (Jacques), et alii, Europe/Amérique du Nord. Cinq siècles d’interactions, Paris, A. Colin, coll. U, 2008, p. 69-94.
8. Fohlen (Claude), Heffer (Jean), Weil (François), Canada et États-Unis depuis 1770, Paris, Coll. Nouvelle Clio, L’histoire et ses problèmes, PUF, 1997, p. 97-11. Bernard Cottret a repris ce débat dans un article très stimulant : Cottret (Bernard), « La Révolution atlantique, une question mal posée  », dans Belissa (Marc), Cottret (Bernard) (dir.), Cosmopolitismes, patriotismes. Europe et Amériques, 1773-1803, Paris, Les Perséides, 2005, p. 183-197.
9. Alden (John Richard), La guerre d’Indépendance, Paris, Seghers, Vent d’ouest, 1965.
10. Il arrive que le mot « révolte » soit préféré à « révolution ». Ainsi, André Kaspi identifie « le temps de l’indépendance » qu’il subdivise en trois moments : la révolte des colonies (1763-1775), l’indépendance (1776-1789) et les premiers pas de le République (1789-1815) ; cf. Kaspi (André), Les Américains. 1. Naissance et essor des États-Unis (1607-1945), Paris, Seuil, coll. Points, 2002, p. 90-125.
11. Dorigny (Marcel), Révoltes et révolutions en Europe et aux Amériques (1773-1802), Paris, Belin Sup, 2004, p. 110.

 Citer cet article

Isabelle Laboulais, « Révolution américaine et guerre d’Indépendance », dans Isabelle Laboulais (éd.), Flohr. Le voyage en Amérique, ARCHE UMR3400, 2020 (édition numérique : <https://estrades.huma-num.fr/flohr-expo/fr/article/fr-article-4-1.html>, consulté le 13-09-2024)