La légende du Bon Pécheur

gravure montrant Saint Grégoire sur son rocher

Illustration : Gravure anonyme, in Der heilgen leben, éd. Sébastien Brant, Strasbourg, Jean Grüninger, 1502, fol. 74r, exemplaire de Munich, BSB, Res/2 P.lat. 1726 b

L’histoire du Bon Pécheur Grégoire, Gregorius en allemand et en latin, est l’une des grandes légendes du Moyen Âge européen. Elle naquit en France vers la fin du XIIe siècle, gagna aussitôt l’aire germanophone et connut une diffusion atteignant à ses extrémités géographiques l’Islande, la Russie, l’Espagne et la Suède. En 1951, elle inspira L’Élu (Der Auserwählte), la célèbre modernisation romanesque de Thomas Mann.

Avant 1800, il est possible de distinguer 30 versions : 8 en allemand, 2 en anglais, 3 en espagnol, 4 en français, 1 en hongrois, 1 en irlandais, 1 en islandais, 6 en latin, 1 en néerlandais, 1 en polonais, 1 en russe, 1 en suédois. Les auteurs de huit versions se présentent nommément, les autres sont anonymes. Huit versions sont versifiées, les autres en prose. Ces 30 textes sont conservés dans au moins 185 manuscrits et 121 éditions antérieures à 1800.

Dénuée de tout fondement historique, la version initiale intitulée la Vie du pape saint Grégoire raconte ceci : à la mort de ses parents, le fils d’un comte d’Aquitaine s’éprend, sous l’impulsion du diable, de sa sœur, la rend enceinte et meurt en croisade. La mère confie l’enfant aux eaux et glisse dans l’esquif une tablette décrivant anonymement l’inceste. Retrouvé par un pêcheur qui l’élèvera au sein de sa famille, l’enfant est baptisé par un abbé qui lui prodigue une éducation religieuse. En découvrant à quinze ans qu’il a été adopté, Grégoire part à la recherche de ses origines. Le hasard le conduit au pays de sa mère, assiégée par un duc désireux de l’épouser. Grégoire libère le pays et épouse sa mère. Un jour, la vérité éclate en raison de la tablette qu’il a conservée. Pour faire pénitence, Grégoire se fait conduire sur une île par le pêcheur, s’enchaîne à un rocher et jette la clef à la mer. Dix-sept ans plus tard, un ange annonce que le successeur du défunt pape sera un pénitent vivant sur un rocher et prénommé Grégoire. Dans leur quête de l’élu, les délégués de Rome font halte chez le pêcheur. Il leur sert un poisson qui a avalé la clef. Grâce à ce signe de pardon envoyé par la Providence, Grégoire accepte le Saint-Siège. Pour faire pénitence, sa mère se rend à Rome, sans toutefois connaître l’identité du nouveau pape. Il lui révèle la vérité et la confie à des dames pieuses chez qui elle finira ses jours. Après sa mort, Grégoire accédera à la sainteté.

Le projet « Gregorius – digital » vise à éditer l’ensemble du corpus sur deux sites, le site « Estrades » de l’Université de Strasbourg et le site de la Bibliothèque Universitaire de Heidelberg. Les deux versions du XIIe siècle, la Vie du pape saint Grégoire et le Gregorius de Hartmann von Aue, seront hébergées à Heidelberg, les 28 autres à Strasbourg. Les deux versions anciennes sont conservées dans 20 manuscrits qui seront édités intégralement. La plupart des autres versions seront éditées d’après un seul témoin principal, soit le manuscrit considéré comme le plus fidèle, soit l’édition princeps.

Les textes seront transcrits diplomatiquement et encodés en TEI (Text Encoding Initiative). Cette technique permettra des affichages multiples, soit la transcription brute avec les abréviations, soit une transcription régularisant les graphies i/j et u/v, soit une transcription éditoriale expurgée des erreurs manifestes. Le projet ne vise pas à proposer des éditions critiques, mais à présenter les manuscrits et éditions anciennes dans leur forme originale et leur diversité. Tous les textes seront accompagnés d’une traduction allemande, anglaise ou française. Les pages annexes de ce site présentent les principes de transcription et les partenaires du projet.

Considéré comme un work in progress, le projet a démarré sans financement et ne présentera dans un premier temps que des versions disponibles en ligne. Si le financement sollicité est obtenu, des numérisations de l’ensemble des manuscrits et éditions anciennes seront présentées sur ce site, soit plus de 5.000 pages. Le corpus des textes à transcrire est évalué à environ 350.000 mots dont environ la moitié en vers.