La légende du Bon Pécheur
L’histoire du Bon Pécheur Grégoire, Gregorius en allemand et en latin, est l’une des grandes légendes du Moyen Âge européen. Elle naquit en France vers la fin du XIIe siècle, gagna aussitôt l’aire germanophone et connut une diffusion atteignant à ses extrémités géographiques l’Islande, la Russie, l’Espagne et la Suède. En 1951, elle inspira L’Élu (Der Erwählte), la célèbre modernisation romanesque de Thomas Mann.
Avant 1800, il est possible de distinguer 31 versions : 9 en allemand, 2 en anglais, 3 en espagnol, 4 en français, 1 en hongrois, 1 en irlandais, 1 en islandais, 6 en latin, 1 en néerlandais, 1 en polonais, 1 en russe et 1 en suédois. Les auteurs de huit versions se présentent nommément, les autres sont anonymes. Huit versions sont en vers, les autres en prose. Ces 31 textes sont conservés dans au moins 141 manuscrits et 132 éditions antérieures à 1800, sans compter environ 150 manuscrits russes et ukrainiens attestés par des catalogues anciens et dont la localisation et la cote actuelles ont le plus souvent été vérifiées, mais qui sont encore majoritairement inaccessibles.
Dénuée de tout fondement historique, la version initiale intitulée la Vie de saint Grégoire raconte ceci : à la mort de ses parents, le fils d’un comte d’Aquitaine s’éprend, sous l’impulsion du diable, de sa sœur, la rend enceinte et meurt en croisade. La mère confie l’enfant aux eaux et glisse dans l’esquif une tablette décrivant anonymement l’inceste. Retrouvé par un pêcheur qui l’élèvera au sein de sa famille, l’enfant est baptisé par un abbé qui lui prodigue une éducation religieuse. En découvrant à quinze ans qu’il a été adopté, Grégoire part à la recherche de ses origines. Le hasard le conduit au pays de sa mère, assiégée par un duc désireux de l’épouser. Grégoire libère le pays et épouse sa mère. Un jour, la vérité éclate en raison de la tablette qu’il a conservée. Pour faire pénitence, Grégoire se fait conduire sur une île par le pêcheur, s’enchaîne à un rocher et jette la clef à la mer. Dix-sept ans plus tard, un ange annonce que le successeur du défunt pape sera un pénitent vivant sur un rocher et prénommé Grégoire. Dans leur quête de l’élu, les délégués de Rome font halte chez le pêcheur. Il leur sert un poisson qui a avalé la clef. Grâce à ce signe de pardon envoyé par la Providence, Grégoire accepte le Saint-Siège. Pour faire pénitence, sa mère se rend à Rome, sans toutefois connaître l’identité du nouveau pape. Il lui révèle la vérité et la confie à des dames pieuses chez qui elle finira ses jours. Après sa mort, Grégoire accédera à la sainteté.
Le projet « Gregorius Digital » vise à éditer l’ensemble du corpus sur trois sites, ce site hébergé sur la plateforme « Estrades » de l’Université de Strasbourg et deux sites de la Bibliothèque Universitaire de Heidelberg. Les 31 versions seront toutes éditées à Strasbourg avec une traduction et un commentaire, la plupart des versions d’après un seul témoin principal, soit le manuscrit considéré comme le plus fidèle, soit l’édition princeps. Les deux versions les plus anciennes, la Vie de saint Grégoire et le Gregorius de Hartmann von Aue, les seules du XIIe siècle, seront parallèlement éditées à Heidelberg sur deux sites distincts. Elles sont conservées dans 20 manuscrits qui seront transcrits intégralement.
Les textes seront transcrits diplomatiquement et encodés en TEI (Text Encoding Initiative). Cette technique permettra des affichages multiples, soit la transcription brute avec les abréviations, soit une transcription régularisant les graphies i/j et u/v, soit une transcription éditoriale expurgée des erreurs manifestes. Le projet ne vise pas à proposer des éditions critiques, mais à présenter les manuscrits et éditions anciennes dans leur forme originale et leur diversité. Les textes seront accompagnés d’une traduction allemande, anglaise ou française. Les différentes pages de ce site présentent les principes de transcription et les partenaires du projet.
Considéré comme un work in progress, le projet a démarré sans financement et ne présente pour le moment que deux transcriptions TEI à titre d’essai en ligne (F4 et L6). Grâce aux financements de démarrage accordés en 2023 par l’Université de Strasbourg par le biais d’un appel IDEX et d’une subvention de l’UMR 3400 ARCHE, l’acquisition des numérisations nécessaires au projet, soit plus de 5.000 pages provenant de plus de 400 témoins localisés dans 17 pays, est presque achevée en 2024. Celle des numérisations des nombreux manuscrits russes, longtemps retardée par la situation tendue entre l’Union Européenne et la Russie, va enfin pouvoir démarrer grâce à la collaboration et à la générosité de Russes domiciliés en France et en Russie. Les numérisations du Gregorius de Hartmann, financées par la Bibliothèque Universitaire de Heidelberg, sont déjà disponibles sur le premier site partenaire.
Si le projet a jusqu’ici été ralenti par la charge d’enseignement et diverses responsabilités du coordinateur, il s’est accéléré à partir de septembre 2024 grâce à une délégation accordée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au coordinateur du projet. Pour une année, il sera déchargé de ses obligations d’enseignement à Strasbourg et rattaché au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM) de Poitiers et pourra enfin se consacrer pleinement à l’achèvement du projet.
La prochaine phase consistera à terminer la présentation des quelque 300 témoins réunis, puis à publier l’ensemble des manuscrits et éditions anciennes sur ce site sous forme de numérisations. Dans une seconde phase, un témoin principal de chaque version sera transcrit et accompagné d’une traduction et d’un commentaire. Le corpus à transcrire dans les deux volets du projet est évalué à environ 400.000 mots dont près de la moitié en vers. Actuellement, deux ans après la création de ce site, la présentation d’environ la moitié du corpus est achevée. La mise en ligne des numérisations s’est accélérée. Le site offre actuellement plus de 3000 pages numérisées avec la légende du Bon Pécheur dont environ 2500 à partir de la visionneuse de l’entrepôt de données NAKALA dont le but est de préserver et de disséminer les données produites par les productions des projets de recherche français en Sciences Humaines et Sociales dans le respect des principes FAIR. L’équipe remercie les nombreuses institutions qui ont fourni des numérisations, souvent à titre gracieux, et se réjouit tout particulièrement de la collaboration avec la Bayerische Staatsbibliothek de Munich qui fournira environ un cinquième de l’ensemble des numérisations sur lesquelles repose le projet.
Une grande partie du projet sera achevée dès 2025, notamment grâce à la délégation accordée par le CNRS au coordinateur qui gère et alimente le site de Strasbourg. Si cette délégation est prolongée d’une année, les principaux objectifs du projet seront atteints comme prévu en 2026. Le site de Strasbourg a toutefois encore besoin d’un développement technique pour offrir plus de fonctionnalités, notamment dans les pages éditoriales où nous avons provisoirement mis en ligne de simples transcriptions en format PDF et Word. Après l’épuisement du premier financement de 2023, principalement par l’achat de numérisations, l’équipe espère obtenir un nouveau financement afin de disposer du soutien d’un ingénieur dédié au projet quand celui-ci entrera dans la phase finale de transcription du corpus en TEI et de mise en ligne de ces textes sur ce site. L’objectif est de publier ces transcriptions avec toutes les fonctionnalités habituelles des éditions en ligne.
- Ouverture du site : 12 janvier 2023
- Première mise à jour : 14 avril 2023
- Deuxième mise à jour : 11 décembre 2023
- Troisième mise à jour : 13 décembre 2024