D18 : Gregor am Stein
Présentation
Édition : Peter Andersen
Description succincte
- Témoins : 1 édition
- Longueur totale des témoins : 5 pages
- Témoin de référence : édition princeps de 1959
- Longueur du témoin de référence : 5 pages, 147 lignes et 1565 mots
- Référence numérique : ligne du témoin de référence
- Auteur : Anton Krukenfelner (conteur), Gottfried Henßen (éditeur)
- Lieu : Marbourg (lieu de transmission) et Csobáanka/Hongrie (possible lieu d’origine)
- Date : 28/07/1956 (date de transmission) et 1865/1945 (possible date d’origine)
- Source : D10-5
Facsimilés
- D18 (Henßen 1959 ; Fribourg-en-Brisgau, Deutsches Seminar, Frei 30a: VIII 15 Vol 0.0, Bd 7, p. 220-224) – EN COPYRIGHT
Transcription normalisée (2025)
Traduction française (2025)
Structure
- 13 épisodes : 7 (1-8), 10 (9-13), 11 (14-27), 15 (27-30), 16 (31-42), 17 (43-65), 18 (66-69), 19 (69-86), 20 (87-96), 21 (96-115), 22 (116-126), 23 (127-132), 25 (133-147)
- 18 répliques : 19, 21, 36, 44, 47, 56, 64, 68, 70, 76, 77, 80, 83, 87, 92, 110, 116, 142
Cette version allemande de la légende du Bon Pécheur fut racontée par Anton Krukenfelner le 26 juillet 1956 à Marbourg, enregistrée ce jour-là par Gottfried Henßen (1889-1976), puis transcrite par lui et éditée en 1959 dans un recueil de contes et chansons ayant autrefois circulé oralement parmi la population germanophone de la Hongrie. Le recueil contient 100 contes et 31 chansons numérotés. Les contes sont classés en quatre grands groupes d’après l’identité des conteurs et leur origine. Le conte sur le Bon Pécheur, intitulé Gregor am Stein, fait partie du second groupe, le plus important avec 71 contes (nº 9-79). Ils sont subdivisés en cinq catégories en fonction de leur contenu. Ils furent racontés par Anton Krukenfelner et Juliane Gruber et proviennent des collines de Buda au nord de Budapest. Celui qui nous intéresse porte le numéro 54 et fait partie d’une petite catégorie de cinq contes issus, selon le sous-titre, des livres populaires et feuilles volantes (Volksbücher und Lesebogen, nº 53-57). Dans son commentaire laconique (1959, p. 361), Henßen signale une forte similitude avec la version éditée en 1865 par Karl Simrock sous le titre Historie des heiligen Bischofs Gregorius auf dem Stein (D10-5). Dans ce texte, Simrock appelle le protagoniste Gregor comme dans la version de Krukenfelner. Même si d’autres sources, telle une traduction du Gregorius de Hartmann, voire les romans de Hanna Stephan et Thomas Mann, sont susceptibles d’avoir été connues par le conteur, il est plus probable que son récit repose uniquement sur le texte de Simrock. Les Volksbücher de Simrock ornaient les rayons des bibliothèques de bien des familles allemandes jusqu’au XXe siècle, surtout la seconde série qui regroupait plusieurs textes dans un seul volume. Dans le volume XII, la légende du Bon Pécheur est suivie de celle des Sept Sages de Rome (Die sieben weisen Meister). Celle-ci est le numéro 56 dans le recueil de Henßen et provient très vraisemblablement du même volume de Simrock que Gregor am Stein.
Gottfried Henßen était un grand collectionneur de contes. Il en recueillit plusieurs centaines, surtout en Westphalie, sa région natale. À partir de 1951, il était professeur honoraire de la Philipps-Universität de Marbourg et dirigeait le Zentralarchiv der deutschen Volkserzählung (Archive centrale des contes populaires allemands) qu’il avait fondé en 1936. Dans l’introduction à son recueil de contes germano-hongrois, il raconte comment il fit la connaissance d’Anton Krukenfelner fortuitement grâce à un cahier d’étudiant contenant des contes fragmentaires (1959, p. 5). Anton Krukenfelner est né en 1900 dans le petit village de Csobánka situé à 15 km au nord de Budapest. Son père était vigneron et paysan, ses ancêtres autrichiens. Quand Henßen le rencontra, Krukenfelner avait encore quelques traces de l’accent autrichien de ses ancêtres qui avaient émigré en Hongrie. Krukenfelner fréquenta l’école élémentaire hongroise, apprit à lire, mais ne fit pas d’études. En 1945, il s’installa à Königsbronn dans le Württemberg avec sa femme Irma. Ils avaient quatre enfants Karl, Anton, Andreas et Anna. Son fils Andreas Krukenfelner, né en 1936, vivait encore en 2023 à Königsbronn et y cultivait des poivrons comme ses parents selon un journal local. Il n’a pas été possible d’établir un contact avec les descendants d’Anton Krukenfelner dont le destin est inconnu après 1959.
La version qu’il raconta en 1956 à Marbourg à Gottfried Henßen et aux étudiants suit celle de Simrock assez fidèlement. Le premier inceste est cependant supprimé. Le conteur commence son récit après la naissance de Gregor et présente sa mère comme baronne. Il hésite plus tard quant au titre de noblesse et décrit aussi la mère comme comtesse. Dans la version de Simrock, elle est duchesse. Dans son conte, Krukenfelner simplifie la trame narrative et n’évoque ni le frère ni le prétendant. L’enfant trouvé n’est pas confié à un pauvre pêcheur, mais à un pasteur et c’est un évêque qui veille à ce qu’il fasse des études et non un abbé. Dans l’épisode final, Gregor est seulement nommé pasteur dans une grande ville. Une voix divine est toujours à l’origine de cette modeste nomination. La réduction hiérarchique est ainsi plus drastique que dans le texte de Simrock où le pécheur finit évêque. De plus, le motif de sainteté est remplacé par celui de pureté. Les messagers partent à la recherche d’un homme pur comme dans le roman de Hanna Stephan qui a pu influncer le récit de Krukenfelner.
La légende pluriséculaire du Bon Pécheur s’éteint au moins provisoirement par ce récit édité en 1959, car elle n’a plus suscité de nouvelles adaptations depuis cette date. L’avenir nous montrera si Gregor am Stein est l’acte de décès d’une légende qui aura prospéré pendant huit siècles.
La version publiée par Henßen n’avait jamais été rééditée, traduite ou commentée avant sa mise en ligne sur ce site. Bien que le texte soit encore soumis au copyright, l’ayant-droit, l’Elwert Verlag de Marbourg, nous a gracieusement accordé l’autorisation de publier le récit sous forme de numérisations et de transcription. Notre traduction vise à restituer le récit aussi fidèlement que possible sans tenter d’imiter le registre oral ou dialectal.
Ce conte illustre de manière exemplaire le mode de transmission des légendes. Entre la fin du XIIe siècle et 1956, la légende du Bon Pécheur s’est transmise de manuscrit en manuscrit, puis d’imprimé en imprimé, sans aucune discontinuité et sans aucune récitation orale attestée. Puis, un conteur doté d’une bonne mémoire et d’un indéniable talent pour la performance orale transforma la version de Simrock en un conte à caractère populaire. La métamorphose eut lieu lors d’un one-man-show présenté à Marbourg devant un auditoire d’étudiants captivés et un professeur formaté à l’école romantique et intimement convaincu que les légendes sont des entités immatérielles capables de franchir le temps et l’espace par la seule magie du bouche-à-oreille. Les rationalistes, moins rêveurs, savent que la magie s’exerce par l’encre et la plume et que l’écriture est l’unique support pérenne de la transmission littéraire.