D7 : Gregorius de grote sunder
Présentation
Édition : Peter Andersen
Description succincte
- Témoins : 10 éditions
- Sigles : D7-1 à D7-10
- Longueur totale des témoins : 52 pages
- Témoin publié et transcrit : D7-1
- Longueur du témoin publié : 402 lignes et 2656 mots (D7-1)
- Référence numérique : lignes de l’édition princeps (D7-1)
- Auteur : anonyme, peut-être Hans van Ghetelen
- Lieu : Lübeck
- Date : 1488
- Source : sans doute principalement L2-2, peut-être aussi L1, L6, NL, voire D1
Facsimilés
- D7-1 (Lübeck, Hans van Ghetelen, 17-23/06/1488 ; Berlin SB, 4° Inc 1468, fol. 207va-209vb)
- D7-2 (Lübeck, Hans van Ghetelen, 24/07/1492 ; Stockholm, Inkunabel 1357, fol. 264va-267ra)
- D7-3 ([Lübeck, Steffen Arndes], 1493 ; Berlin SB, 4° Inc 1485, fol. a 62rb-64ra)
- D7-4 (Lübeck, Steffen Arndes, 1497 ; Munich BSB, 2 Inc.c.a. 3522 l, fol. 89rb-91ra)
- D7-5 (Lübeck, [Matthäus Brandis], 1497 ; Wolfenbüttel, Th 4° 71, fol. 267vb-270rb)
- D7-6 (Braunschweig, Hans Dorne, 1506 ; Halle ULB, AB 100965, fol. II 87vb-91va)
- D7-7 (Lübeck, Steffen Arndes, 1506 ; Göttingen, 4 TH PAST 112/21 RARA, fol. 89rb-91ra)
- D7-8 (Lübeck, Steffen Arndes, 1509 ; Wolfenbüttel, 378.5 Theol. 2°, fol. 103ra-105ra)
- D7-9 (Bâle, Adam Petri, 1513 ; Wolfenbüttel, 517.15 Theol. 2°, fol. 199rb-201ra)
- D7-10 (Bâle, Adam Petri, 1517 ; Halle ULB, AB 180162, fol. 1[90]rb-192ra)
La septième version allemande est un exemplum destiné à illustrer l’humilité dans un commentaire du chapitre 14 de l’évangile selon saint Luc. Ce commentaire est rédigé en bas-allemand et porte sur le 17e dimanche après la Trinité dans un livre de péricopes publié à Lübeck par Hans von Ghetelen. Une péricope est un bref passage biblique qui fait l’objet d’une lecture publique ou d’un commentaire. Ce livre de péricopes est un liber plenarius selon la terminologie en usage en Allemagne depuis le Moyen Âge. Nous nous inspirons du terme allemand Plenarium, employé dans la littérature spécialisée, pour désigner ce livre par le néologisme français plenarium.
L’édition princeps est un infolio volumineux de 267 feuillets. Il couvre toute l’année liturgique à partir du premier dimanche de l’Avent et se divise en deux parties principales formant une continuité chronologique, une première pour les dimanches et les fêtes de l’hiver, une seconde de même ampleur sur l’été, avec l’exemplum du Bon Pécheur. L’ouvrage s’achève sur une troisième partie plus courte avec les saints. Il repose pour l’essentiel sur un plenarium publié en 1484 à Magdebourg. En 1488, celui-ci servit parallèlement de modèle à un autre plenarium publié également à Lübeck, mais par Steffen Arndres, un concurrent de Hans van Ghetelen.
Dans l’édition de Magdebourg, le commentaire sur le 17e dimanche après la Trinité s’étend sur huit pages. Il commence par un verset de la lettre de saint Paul aux Éphésiens, cité en latin (Ep 4:1). Le passage correspondant est ensuite traduit en allemand (Ep 4:1-7) (Ravenstein / Westfal 1484, fol. 186ra). Selon le même modèle, le premier verset du chapitre 14 de l’évangile selon saint Luc est d’abord cité en latin. Ensuite, ce chapitre est traduit en allemand jusqu’au verset évoquant l’humilité : « Quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé » (Lc 14:1-11) (ibid., fol. 186ra-186rb). Puis ce passage est commenté dans une longue glose sur 13 colonnes (ibid., fol. 186va-189va). Le dernier passage évoque saint Bernard nommément deux fois (ibid., fol. 189rb-189vb). Précédemment, la glose cite Grégoire le Grand pour avoir dit : « Tu dois envoyer ton bien là où tu as ta patrie (du ſchalt ſenden dyn gued dar du hefſt dynes vader lant) ». (ibid., fol. 189ra). Le plenarium d’Arndes suit la version de Magdeburg avec très peu de modifications jusqu’à l’exemple d’un moine qui porte Jésus ayant pris l’apparence d’un lépreux. Celui-ci répond au moine : « Je te porterai encore devant mon père céleste (Jck wyl dy wedder draghē vor mynē hēmelſchen vader) » (ibid., fol. 189rb) (Arndes 1488, fol. 258rb). C’est la dernière phrase commune. Elle précède immédiatement la référence à saint Bernard qu’Arndes remplace par l’exemple d’un ermite qui s’étend sur deux colonnes (Haebler 1916, p. 122). Le procédé de Hans von Ghetelen est comparable. Dans son plenarium, le commentaire sur le 17e dimanche après la Trinité couvre onze pages (fol. 205ra-209vb) et suit les deux autres versions de très près jusqu’à la phrase de Jésus (fol. 207rb). Ici, Hans van Ghetelen insère l’histoire d’un autre ermite, Grégoire. Elle est censée servir à illustrer l’humilité (fol. 207va-209vb). Cet exemplum est directement suivi du commentaire sur 18e dimanche après la Trinité sans transition.
En 1954, Winfried Kämpfer fut le premier à attirer l’attention sur cette version dans une monographie sur les plenaria. Le texte fut publié en 1967 par Otto Schwencke d’après la seconde édition de 1492. Il constata une évidente parenté avec De Albano, l’exemplum latin édité en 1914 par Joseph Klapper (L2), et supposa une source commune. L’édition princeps de 1488 ne fut signalée qu’en 2006 par Sylvia Kohushölter. Elle réédita le texte du Bon Pécheur d’après ce modèle en incluant tout le commentaire à partir de la péricope de l’évangile selon saint Luc. Elle lista les différences avec le Gregorius de Hartmann (p. 196-197) et la version latine De Albano (p. 264) et répertoria 17 éditions parues entre 1488 et 1522. Elle les dota de sigles de D à U. Elle intitula enfin la version Gregorius de grote sunder d’après la graphie des éditions. Nous reprenons ce titre.
L’histoire se déroule sous le règne qu’un pape et non d’un roi ou empereur comme les Gesta Romanorum. Ce pape s’appelle Gaius et porte le nom d’un pape historique qui occupa le Saint-Siège de 283 à 296. Il est toutefois présenté comme le quatrième pape après saint Pierre alors qu’il était le 28e selon la liste traditionnelle (Schwencke 1967, p. 82). Le grand-père du protagoniste est un comte comme la Vie de saint Grégoire, mais cet accord est sans aucun doute fortuit, car les deux versions n’ont pas d’autre parenté (Kohushölter 2006, p. 197-199). L’auteur campe l’action entièrement en Italie. Le comté se situe quelque part dans ce pays et après avoir quitté l’abbé Grégoire se met au service du roi de Naples. Sa mère semble vivre non loin de là. La fin de l’histoire est également singulière. Grégoire ne devint pas pape, mais évêque. Comme à l’accoutumée, sa mère vient se confesser auprès de lui mais il refuse sa confession et l’amène avec lui à Rome pour qu’elle se confesse au pape Gaius. Le règne de ce pontife est particulièrement long. Il occupe déjà le Saint-Siège à l’époque du grand-père du protagoniste et est encore en place quand ce dernier a au moins 36 ans. Grégoire se met en effet au service de sa mère à vingt ans et passe ensuite seize années sur le rocher avant de devenir évêque.
Schwencke espérait qu’on retrouverait un jour le manuscrit latin ayant servi de modèle à cet exemplum allemand. Il est possible qu’il s’agisse de celui de Henmannus de Bonn qui se trouve aujourd’hui à Copenhague (L2-2). Sa présence à Lübeck est avérée au début du XVe siècle, car Hermann Korner s’en servit pour la Chronica novella à Lübeck entre 1415 et 1435. L’auteur de Gregorius de grote sunder connaissait peut-être aussi les Gesta Gregorii peccatoris composé vers 1210 par Arnold de Lübeck (L1). Cette versification latine repose sur le Gregorius de Hartmann dont un manuscrit devait avoir atteint Lübeck dès le début du XIIIe siècle, seulement une dizaine d’années après la rédaction originale. L’auteur de l’exemplum connaissait sans doute aussi l’histoire par l’un des incunables avec les Gesta Romanorum, soit en latin, soit en néerlandais. S’il disposait ainsi d’une multitude de sources, il avait l’embarras du choix pour imaginer une nouvelle version en piochant ça et là des motifs. Dans ce cas, il est vain de chercher à établir la filiation précise par une comparaison entre les textes.
Le plenarium est anonyme, donc également l’histoire du Bon Pécheur. L’éditeur Hans van Ghetelen était actif comme imprimeur à Lübeck entre 1487 et 1526. Il signa le plenarium par l’acrostiche « HANS VAN GHETELEN » qui orne un poème de 15 vers à rimes plates sauf la dernière qui est triple. On suppose que cet imprimeur travaillait à Lübeck avec l’abbaye franciscaine Sainte-Catherine, mais la mention de l’ordre de saint-Bernard suggère que l’auteur de l’histoire du Bon Pécheur appartenait plutôt à l’abbaye bénédictine Saint-Jean. Hans van Ghetelen ne publia que les deux premières éditions du plenarium. La troisième édition fut mise sur le marché par Arndes qui publia l’ouvrage quatre fois entre 1493 et 1509 dans une version légèrement remaniée. Les deux concurrents publièrent leur première édition la même année, en 1488. Seule celle de Hans van Ghetelen est datée plus précisément par un vers du poème latin. Il est donc difficile de dire qui fut le premier à mettre son plenarium sur le marché à Lübeck et si l’un s’inspirait de l’autre parallèlement au plenarium de Magdebourg. Le fait qu’ils s’insérèrent tous les deux une histoire d’ermite au même endroit à la place de la référence à saint Bernard parle en faveur d’une dépendance directe entre eux. L’idée d’insérer un exemple emprunté à la légende du Bon Pécheur pourrait être provoquée par la référence à Grégoire le Grand. Selon Konrad Haebler, Hans van Ghetelen n’était pas un simple imprimeur mais un éditeur avec de réelles prétentions littéraires. Son poème latin le prouve. Haebler lui attribue « sans hésiter (unbedenklich) » (1916, p. 124) tous les remaniements du plenarium. La nouvelle version de la légende du Bon Pécheur pourrait donc fort bien être son œuvre.
La réception du plenarium est considérable. Il est conservé dans au moins 101 exemplaires représentant 14 éditions différentes. S’y ajoutent trois éditions sans doute irrémédiablement perdues dont deux seulement depuis la Seconde guerre mondiale, une publiée en 1496 à Lübeck par Mathias Brandis, une publiée en 1509 à Magdebourg et une publiée en 1522 à Bâle par Adam Petri. Les 17 éditions attestées se concentrent à Lübeck et à Bâle, avec respectivement huit et sept éditions. Les deux autres parurent en 1506 à Brunswick et en 1509 à Magdebourg. L’édition de Magdebourg n’est plus attestée depuis 1732. C’est très vraisemblablement à Magdebourg qu’Adam Petri se procura cet ouvrage. Cette ville saxonne faisait partie de son marché. Après avoir réédité le plenarium en 1513 à Bâle en bas-allemand sans changement, il publia l’année suivante une version remaniée en haut-allemand à l’attention du marché local. Cette dernière connut un succès encore plus important, notamment grâce à ses illustrations. Toutes les versions sont illustrées mais les illustrations les plus élaborées sont celles de Bâle. Aucune des illustrations ne porte cependant sur les exempla. Par le plenarium, l’histoire du Bon Pécheur gagna aussi la Scandinavie. Comme Marianne E. Kalinke l’a démontré en 1991, la version islandaise réalisée entre 1530 et 1540 par Björn þorleifsson en est influencée.