IS : Gregóríuss saga ins mikla syndara

Présentation

Édition : Peter Andersen (présentation et transcription) & Alessia Bauer (traduction et relectures)

Collaboration: Ingrid Brenez (relecture de la traduction)

Description succincte

  • Témoins : 1 manuscrit
  • Sigles : IS
  • Longueur totale du témoin : 12 pages
  • Témoin publié et transcrit : IS
  • Longueur du témoin publié : 1043 lignes et 11814 mots
  • Référence numérique : lignes du manuscrit unique
  • Auteur : Björn Þorleifsson
  • Lieu : Islande, probablement à Reykjahólar
  • Date : 1530/1540
  • Sources : D6, D7 et L4

Facsimilés

  • IS (Stockholm, Holm Perg 3 fol., fol. 86ra-86vb, 31ra-33va) – Images originales (meilleure qualité)

IS-86ra (c. 1535) Stockholm (détail)

Gregors saga biskups, 1530/1540, fol. 84r
Stockholm, Holm Perg 3 fol.


La version islandaise est conservée dans l’original, un recueil hagiographique copié entre 1530 et 1540 par l’Islandais Björn Þorleifsson. Tout porte à croire qu’il n’est pas seulement le copiste, mais également l’auteur de tous les textes de cette collection, au nombre de 25. Elle est aujourd’hui lacunaire, car le début et la fin sont perdus, également deux feuillets dans la dernière section. Le manuscrit est un in-folio de 168 feuillets de parchemin et conserve 25 vies de saints. En raison de six permutations de feuillets, ces vies sont réparties sur 31 sections. Celle du Bon Pécheur fait partie des six vies ayant subi une scission accidentelle. Le texte est complet, mais le début se trouve sur trois feuillets de la 18e section, la fin sur trois feuillets de la 7e section. Une note latine inscrite à la fin de la 18e section renvoie à la 7e section. Comme les autres vies, celle du Bon Pécheur est dépourvue de titre original. Dans la première description détaillée du manuscrit, le bibliothécaire suédois Vilhelm Gödel (1864-1941) dota les 25 vies de titres islandais et appela celle du Bon Pécheur Gregorius saga biskups (Saga de l’évêque Grégoire). Elle précède directement la vie d’un vrai homonyme, celle de Grégoire le Grand. Les deux textes occupaient initialement les 14e et 15e positions parmi les 25 textes conservés. La dernière édition intitule la vie du Bon Pêcheur Saga Gregóríuss hins góða syndara (Saga de Grégoire le Bon Pécheur) en référence à l’épithète choisie par Hartmann. La voix de Dieu appelle le protagoniste « Gregorivs hin mikle syndare » (IS 835, « Grégoire le grand pécheur », cf. aussi IS 930), comme dans le plenarium allemand (D7 et D8). Grégoire se nomme aussi lui-même ainsi (IS 977). Au risque d’accroître la confusion, nous optons pour ce terme dans une forme normalisée et appelons le texte : Gregóríuss saga ins mikla syndara (« l’histoire de Grégoire le grand pécheur »).

Björn Þorleifsson était un riche fermier et résidait à Reykjahólar, une localité située au nord-ouest de l’Islande, dans la région des fjords de l’Ouest. La localité compte aujourd’hui quelque 120 âmes. Björn est né dans la seconde moitié du XVe siècle, sans doute vers 1475, car il signa 36 chartes entre 1501 et 1539. Outre le recueil avec la Gregóríuss saga ins mikla syndara, il copia deux autres textes religieux, les Révélations de saint Jean, conservées dans un fragment, et la Saga de la croix (Kross saga). Il s’agit dans les deux cas de traductions du latin. Björn est mort entre 1548 et 1554. Sa mort coïncide donc avec l’introduction de la Réforme in Islande. La décapitation de Jón Arason, le dernier évêque catholique du pays, par les Luthériens danois eut lieu en 1550. Le volumineux manuscrit que Björn rédigea vers la fin de sa vie est connu comme le « Livre de Reykjahólar » (Reykjahólabók) d’après son vraisemblable lieu de réalisation. Rien dans le manuscrit ne renvoie explicitement à Björn ou à son lieu de résidence, mais la main unique du manuscrit a été identifié avec la sienne d’après les chartes.

22 des 25 vies sont traduites de l’allemand, les trois autres du latin. La recherche s’est interrogée sur les compétences linguistiques de Björn qui ne semble pas avoir voyagé en Allemagne ni même en dehors de la Scandinavie. Il passa toutefois une année au Danemark (1497-1498), puis deux années à Bergen (1504-1506) au service de Hans Teiste, évêque de cette ville hanséatique (1474-1506). Il a donc eu maintes occasions de côtoyer des Allemands, probablement suffisamment pour traduire plus tard des textes hagiographiques. À partir de l’épisode de la pénitence (IS 823), Björn explique que l’histoire diffère selon les sources. Il ressort de son texte qu’il connaissait la légende dans au moins trois versions, deux où le protagoniste finit pape, une troisième où il finit évêque. La version papale est la Vulgate. En allemand, elle était disponible dans six versions (D1 à D6), seule la dernière sous la forme d’un livre imprimé, le Heiligenleben publié d’abord en 1488 à Augsbourg, puis réédité 23 fois jusqu’en 1521, toujours en haut-allemand. Cette version était également disponible en latin depuis l’édition princeps des Gesta Romanorum parue vers 1472 à Cologne (L4-1), également en néerlandais depuis 1481 (NL-1) et en français depuis 1521 (F-1). Le recours aux Gesta Romanorum est confirmée dès le début par la référence au roi Marc (IS 6). Il n’y a aucune raison de croire que Björn s’est procuré soit un manuscrit allemand soit une édition néerlandaise ou française. Il disposait donc d’un exemplaire de l’une des 50 éditions latines qui avaient paru entre 1472 et 1540. La version épiscopale était disponible dans les deux versions imprimées du plenarium, celle en bas-allemand (D7) et celle en haut-allemand (D8). Les deux dernières éditrices de la Gregóríuss saga ins mikla syndara, Marianne Kalinke et Kirsten Wolf, affirment sans argument en faveur de leur double postulat d’une part que Björn connaissait la légende sous une forme manuscrite, d’autre part qu’il disposait d’un modèle allemand perdu ayant déjà fusionné les deux versions (2023, p. ix, 1, 3, 11, 19). Il est beaucoup plus simple de supposer qu’il s’informait comme tout le monde depuis la révolution médiatique initiée par Gutenberg, à savoir grâce à des livres imprimés, et qu’il compilait lui-même ses sources. Il suit principalement la version papale jusqu’à ce que la voix de Dieu invite les Romains à chercher le nouveau pape en Aquitaine. Il raconte ensuite le dialogue final entre le Bon Pécheur et sa mère d’après le plenarium, puis poursuit son récit à partir de l’arrivée des ambassadeurs romains en Aquitaine. La fusion maladroite des deux versions qu’il connaissait selon toute vraisemblance grâce à trois livres imprimés provoque donc une permutation des épisodes finaux. Ce qui est unique dans la version islandaise est la discussion rationnelle et presque philologique des divergences entre les trois sources. Ce genre de présentation de sources discordantes reste néanmoins une caractéristique propre à la littérature norroise. Le recours à trois sources différentes a perturbé l’auteur autant que la recherche jusqu’à ce que Marianne Kalinke apporte en 1991 quelque lumière sur l’apport des différentes branches de la légende à la Gregóríuss saga ins mikla syndara. En raison de la similitude entre les différentes éditions des trois sources de Björn, il est impossible d’identifier l’année et le lieu d’édition dans chacun des trois cas. Seule la géographie parle en faveur d’une édition de Lübeck du plenarium. Comme l’édition latine des Gesta Romanorum parue en 1508 à Haguenau servit de base à la traduction hongroise, Björn a tout aussi bien pu avoir acccès à une édition du Sud qu’à une édition de Cologne ou des Pays-Bas. Sa troisième source, le Heiligenleben, n’a paru plus au nord qu’à Augsbourg. En d’autres termes, la version islandaise de la légende du Bon Pécheur confirme son immense diffusion géographique à partir de l’invention de l’imprimerie.

L’édition princeps de la Gregóríuss saga ins mikla syndara ne fut publiée qu’en 1970 par la philologue danoise Agnete Loth (1921-1990). Le texte fait partie d’une édition intégrale du « Livre de Reykjahólar » en deux volumes. Il s’agit d’une édition diplomatique avec résolution des abréviations, mais sans normalisation de la casse ou de la ponctuation et avec respect de la structure du manuscrit qui divise le récit en 15 paragraphes par des retours à la ligne et des espaces prévus pour des initiales. La seconde édition de 2023 repose sur cette première édition tout en modernisant l’orthographe et vise à atteindre un public plus large. Cet objectif se traduit par l’organisation du livre qui est avant tout la traduction anglaise d’une sélection de huit des 25 vies. Le texte original est fourni à la fin de l’ouvrage, sous la forme d’une annexe. Il existe aussi une traduction en islandais moderne sans adjonction de l’original. La traduction que nous proposons ici est la première en français.

Une partie des documents scandinaves n’étant pas disponible à Strasbourg, cette description provisoire sera complétée ultérieurement.