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on rencontre de nouveau des habitants allemands, la province de Maryland étant en effet fortement peuplée d’Allemands[247].

man schon wiedrum deutsche Einwohner, weilen die Profintz Mary-Land schon starck mit Deutschen be-wohnt wird.

La région de Frederick Town, en allemand Friedrigsstatt, est appelée « en Allemagne » par les habitants, cette contrée étant majoritairement peuplée de gens venus du Palatinat, de Deux-Ponts et d’Alsace etc.

Gegen Fridrigstaun, oder auf Deutsch Friedrigsstatt genandt, wird schon von den Einwohnern im Deutsch-land genennet, selbige Gegenden seynd auch den mehrstetheil mit Pfältzer, Zweybrücker, Elsäßer bewohnt etc.

Ce qui est également très étonnant dans cette région, c’est qu’on y parle avant tout la langue allemande du Palatinat. Bien qu’on y rencontre des Alsaciens, des gens d’Outre-Rhin et autres, on croirait qu’ils sont tous natifs du Palatinat[248]. D’ailleurs je me suis cru, les entendant parler, dans le pays de mes pères, mais je m’avisais que je me trompais de beaucoup, d’environ 1 600 heures[249].

Es ist auch sehr verwundrungswürdig in diesem Lande daß die deutsche pfalzische Sprache überhaupt in densel-bigen Gegenden gesprochen wird. Ob man gleich wohl ein Elsäßer, Über-Reiner und dergleichen antreffen thut so glaubt man es seyen gebohrne Pflältzer. Ich glaubte auch als ich sie hörete sprechen, ich wäre in meinem Vatterland, so bald ich mich aber besinnete ware es weit gefehlt, so bey 1600 Stund.

Le 24, nous parcourûmes 14 miles jusqu’à Langkästersthawern, une auberge dans une contrée agréable, près d’une petite montagne. Nous montâmes le camp à proximité de l’auberge et nous eûmes là la visite de beaucoup d’habitants. On ne voyait que des femmes à cheval autour du camp ; en ce qui concerne les hommes, on n’en voyait pas, car toute la gent masculine

Den 24ten brachen wir wiedrum auf 14 Meillen biß Langkästers-Thawern, ein Wirthshauß, in einer angenehmen Gegend an einem kleinen Ge-bürge. Wir schlugen das Lager gantz nahe beym Würthshauße, alda bekammen wir schon wiedrum zimmlich Besuch von den Einwohnern. Allwo man nichts sahe als Weibsleute um das Lager herum zu Pferd sitzen, was die Mansleute anbelangen thatte sahe man keine, dann alles was Manns- Volck ware

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mußte

https://gallica.bnf.fr/iiif/ark:/12148/btv1b10110846m/f83/pct:50,0,100,100/,700/0/native.jpg

Strasbourg, Médiathèque André Malraux, ms f 15, p. 165.

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 Notes

247. Quelques Allemands se sont installés dans le Maryland dès avant 1660, ayant reçu des terres dans le comté de Baltimore. Une première communauté chrétienne, les Labadistes, s’installe sous l’impulsion de leur leader, Vorstmann, né à Wesel en Rhénanie, mais qui se fait appeler Schluter. Il choisit la terre d’Augustin Herman, dont le fils se convertit à leur secte. Schluter devient un planteur de tabac et un vendeur d’esclaves très riche. Les Allemands sont peu nombreux avant 1730 dans le Maryland, mais sont très actifs dans le développement commercial de Baltimore (tabac, chantiers navals, cuirs, commerce international, puisque des compagnies de Brême et de Hambourg y établirent des agences). À partir de 1729, la partie occidentale du Maryland se peuple d’Allemands en provenance de Pennsylvanie, attirés par les conditions favorables annoncées par Lord Baltimore en 1732 (loyers très faibles, exemption de loyers pour les terres les trois premières années). Frederick Town est fondée par une centaine de familles palatines en 1745, guidées par Thomas Schley qui est à la fois maître, pasteur et magistrat de cette nouvelle cité. Son fils Jacob Schley devient plus tard capitaine de l’armée continentale. On y trouve des luthériens, des réformés mais aussi des Frères moraves qui ont fondé Graceham à 12 miles au nord de Frederick Town. Les Allemands continuent d’affluer vers le Maryland, et on estime à 3 800 le nombre de germanophones s’installant à Frederick Town ou à Baltimore entre 1748 et 1753. En 1784 encore, 300 Allemands originaires de Brême s’installent dans le Maryland pour y exercer des métiers manuels et d’artisans, et fondèrent notamment la manufacture de verre de Fleecy Dale.
248. L’impression de Flohr de ne rencontrer que des Allemands originaires du Palatinat s’explique par la vague d’immigration qui, à partir de 1709, frappe cette région dévastée par les armées de Louis XIV et le grand hiver de 1709. Les Palatins n’émigrent pas en raison des persécutions religieuses (bien que ce fut une des motivations déterminantes des premiers émigrés allemands des années 1680), mais pour fuir la misère et tenter de trouver en Amérique une vie meilleure. Daniel Defoe parle des « Poor Palatines » qui errent dans les ports hollandais ou à Londres en attendant de pouvoir partir vers Philadelphie. En 1709 à Londres, ils sont environ 6 000, originaires des évêchés de Worms, de Spire, de Mayence, de Trèves, du comté de Nassau, de Hanau, du landgraviat de Darmstadt, d’Alsace ou du pays de Bade. Les grandes vagues de migration allemande vers l’Amérique qui culminent à la fin des années 1740 et au début des années 1750 avec 6 000 arrivants chaque automne déplacent essentiellement des ressortissants de principautés ecclésiastiques ou de micro-états de l’Allemagne du sud-ouest, dont la prononciation de l’allemand est proche de la langue parlée à Zweibrücken.
249. L’expression est belle et empreinte de nostalgie. Le Baron de Closen recourt à une expression très similaire : «The fertility of the country, the climate, the customs of the inhabitants, the use of the German language in this part of Pennsylvania in preference to English, the methods of cultivation and construction, all these recalled to me my dear native land ; and altought I was pursuing adventure more than 1800 leagues from there, I felt, i declare, as if I had been transported suddenly to the center of the beautiful Palatinate.». (« La fertilité du pays, le climat, les traditions des habitants, l’usage de la langue allemande dans cette partie de la Pennsylvanie à la place de l’anglais, les méthodes pour cultiver et construire, toutes ces choses me firent penser à ma chère patrie ; et bien que je fusse alors à l’aventure à plus de 1 800 lieues de là, je me suis senti, je vous le dis, comme si j’eusse été soudainement transporté au milieu du beau Palatinat »). Closen, qui est aussi d’origine allemande commente un village près de Trenton dans le New Jersey. Voir Acomb (Evelyn) (éd.), The Revolutionnary Journal of Baron Ludwig von Closen 1780-1783, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1958, p 116.