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6.

6.

Le 14[13], vent favorable du nord, qui était très apprécié de nos marins.

Den 14ten guten Wind von nördlicher Seite, welcher sehr bey unseren Seefahrer beliebt ware.

Le 5, toujours du bon vent. Le 6, nous avions un peu de brouillard le matin jusqu’à 10, 11 heures.

Den 5ten als noch guten Wind. Den 6ten hatten wir etwas Nebel vormittag biß 10.11 Uhr.

Le 10, nous passâmes à la hauteur de Bordeaux, une ville en France, dans la Province de Gascogne[14].

Den 10ten passierten wir die Höhe von Bordaux, eine Stadt in Franckreich in der Profintz Casconien.

Le 11, l’horizon était très embrumé et le vent assez fort. Vers midi nous fûmes surpris par une soudaine tempête, à tel point que nous avions à peine le temps de ramener les voiles ; la tempête s’amplifia d’heure en heure et elle était déjà en train de nous rejeter vers les côtes espagnoles ! Cette tempête était si forte que pour nous autres, qui n’avions jamais été en mer, c’était une chose épouvantable. Car la mer faisait des vagues si hautes que l’on croyait qu’elles recouvriraient les hautes falaises espagnoles ! Chacun se tenait dans son coin, qui par ci, qui par là, tel des poules effarouchées.

Den 11ten zeigte sich der Horizont sehr neblicht, und mit etwas starckem Wind. Gegen Mittag überfiele uns ein plötzlicher Sturm, daß wir fast nicht Zeit hatten unsre Seegel aufzuziehen, der Sturm nahm von Stund zu Stund mehr zu, daß er uns schon starck gegen den spannischen Küsten zu warffe ! Dieser Sturm erhube sich so starck daß es vor uns Leute die noch niemals auf der See gewesen erbärmliche ware. Dan das Meer erzeigte sich mit so hohen Wellen daß man glaubte daß höhe spannische Ge-bürg damit zu bedecken ! Einer stunde hier der andre dort, in den Ecken herum, wie die verjagte Hüner.

Quelques uns se tenaient aux tonneaux qui étaient un peu partout sur le navire, d’autres à des caisses, d’autres encore à toutes sortes d’équipements qui se trouvaient sur le pont, juste pour tenir debout, tant le navire tanguait. Puis une nouvelle vague arrivait avec fracas et nous fauchait, de sorte que pendant cette tempête nous étions la moitié du temps pour ainsi dire morts.

Einige hielten sich an den Fäßern so auf dem Schiff herum stunden die andren an den Küsten, die andern an sonst dergleichen Geräthe so auf der Brücken ware, nur um vest zu stehen vor dem Hin-und-her-Wanken des Schiffs; biß als entlich wiedrum eine braussende Welle kame und uns davon schluge, item wir waren die halbe Zeit bey diesem Sturm wie todt.

Alors les matelots entreprirent de nous consoler et dirent que nous aurions à endurer cette vie pénible pendant 3 ou 4 semaines, le temps du voyage[15].

Also fingen die Matrossen an uns zu trösten und sagten 3 oder 4 Wochen lang so müßten herum

[réclame]

fahren

https://gallica.bnf.fr/iiif/ark:/12148/btv1b10110846m/f6/pct:0,0,50,100/,700/0/native.jpg

Strasbourg, Médiathèque André Malraux, ms f 15, p. 10.

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 Notes

13. Le quatre du mois de mai 1780.
14. Ce type de mention fait songer aux indications par lesquelles commencent les notices des dictionnaires géographiques, on y retrouve la position du lieu et une indication de son identité, ici le lien entre une ville et la province dont il dépend. Comme c’est le cas à plusieurs reprises dans le voyage de Flohr, on a l’impression qu’il avait une carte sous les yeux et que pour décrire l’itinéraire maritime de son régiment, il s’attache à des points de repère spatiaux.
15. Trois à quatre semaines étaient en effet nécessaire pour atteindre les Antilles par la voie du sud au XVIIIe siècle. La flotte partie le 2 mai 1780 de Brest, arrive à Newport dans le Rhode Island le 11 juillet en passant par la voie du sud, « la plus longue, celle des navires de commerce ». Cf.  Bourgerie (Raymond), Lesouef (Pierre), Yorktown 1781, La France offre l’indépendance à l’Amérique, Paris, Economica, Coll. Campagnes et Stratégie, 1992, p. 35. L’amiral de Ternay voulait éviter les escadres anglaises. Dans son journal, à la page 20, Claude Blanchard note : « il paraît que cette route, si fort au syd, avait été indiquée par la cour pour éviter les Anglais ». Le choix de la voie la plus longue mais la plus sûre ainsi que la destination plus lointaine expliquent que la traversée ait duré 72 jours.