D1 : Gregorius

Présentation

Édition : Peter Andersen

Collaboration : Victor Millet

Description succincte

  • Témoins : 13 manuscrits et 1 édition
  • Sigles : D1-1 à D1-14 (D1-1 à D1-6 : témoins plus ou moins complets ; D1-7 à D1-14 : témoins fragmentaires)
  • Longueur totale des témoins : 813 pages
  • Témoin publié et transcrit : D1-1, D1-3 ou D1-4 complété d’autres témoins pour établir un texte de 4006 vers
  • Référence numérique : vers de l’édition de Burghart Wachinger (2011)
  • Auteur : Hartmann von Aue
  • Lieu : duché de Souabe
  • Date : 1190/1195
  • Source : F1

Facsimilés (tous en ligne parallèlement à la Bibliothèque Universitaire de Heidelberg, sauf D1-14)

  • D1-1 (1225/1250 ; Vatican, Cod. Reg. lat. 1354, fol. 108r-136r, autre sigle A) – EN COPYRIGHT (contenu des pages)
  • D1-2 (1350/1400 ; Cologny, Cod. Bodm. 62, fol. 7v-44v, autre sigle G)
  • D1-3 (1400/1450 ; Constance SA, A I 1, fol. 12va-45rb, autre sigle K)
  • D1-4 (1400/1450 ; Berlin SB, mgq 979, p. 1-194, autre sigle J)
  • D1-5 (1490/1510 ; Vienne NB, Cod. 2881, fol. 235r-294v, autre sigle E)
  • D1-6 (1760/1800 ; Strasbourg AM, MS 314, fol. 55r-120v, autre sigle B2)
  • D1-7 (1200/1250 ; Berlin SB, Fragment 275, fol. 1r-2v, autre sigle N)
  • D1-8 (1275/1300 ; Cracovie BJ, Berol. mgq 1532, fol. 1r-4v, autre sigle L)
  • D1-9 (1290/1310 ; Starzach, Hs. D 1, fol. 1ra-vc, autre sigle C)
  • D1-10 (1300/1320 ; Trèves WB, Hs. 1990/17 8°, fol. 151v, autre sigle O)
  • D1-11 (1300/1325 ; Waidhofen an der Thaya, Inv.-Nr. 7/21, fol. 1r-2v, autre sigle M)
  • D1-12 (1325/1350 ; Salzbourg UB, M I 137, fol. 1r-3v, autre sigle D)
  • D1-13 (1300/1400 ; Cologne HA, Best. 7020 (W*) 312, fol. 1r-4v, autre sigle H)
  • D1-14 (Oberlin 1781, I/1784, II ; Munich BSB, 2 L.germ. 5-1/2 L.germ. 5-2, I, col 12-849/II, col. 859-2100, autre sigle B1) – Liste des vers

D1-6-B2-055r-0177-0200 (c. 1780) Strasbourg AM (détail)

Gregorius, D1-6 (B2), c. 1780, fol. 55r
Strasbourg AM, Ms. 31

La première version allemande du Bon Pécheur est le poème composé par Hartmann von Aue. Il est conservé dans six manuscrits et sept fragments, ainsi que dans un dictionnaire de l’allemand médiéval élaboré au début du XVIIIe siècle par le professeur de l’Université de Strasbourg Johann Georg Scherz (1678-1754) et édité à titre posthume en deux volumes entre 1781 et 1784 sous le titre Glossarium germanicum mediiaevi par Jérémié Jacob Oberlin (1735-1806), également professeur de l’Université de Strasbourg. Selon notre décompte, ce dictionnaire cite 390 vers du Gregorius, disséminés au fil des quelque 2000 pages (B1). Scherz se servit d’un manuscrit de Strasbourg qui périt très probablement dans l’incendie de la bibliothèque municipale de la ville lors du siège de 1870. Il en existe une copie avec une note l’attribuant à Oberlin. Cette copie tardive se trouve à la Bibliothèque André Malraux de Strasbourg et constitue l’unique témoin manuscrit de la légende du Bon Pécheur dans la capitale alsacienne (B2). Les 13 manuscrits contiennent un total de près de 23.000 vers qui seront intégralement transcrits en TEI et publiés sur le site de Heidelberg. L’édition de référence du texte est celle publiée pour la première fois en 1882 par Hermann Paul (1846-1921). Elle compte 4006 vers et a à ce jour connu 15 rééditions, la dernière en 2011 par les soins de Burghart Wachinger (1932-2023).

Hartmann signa son texte à la fin du long prologue (v. 173 : von Ouwe Hartman) et au début du court épilogue (v. 3989 : Hartman), mais sans rien dire de lui-même ni de l’origine de sa matière. Il est l’auteur le plus prolifique de son époque et nous a légué un total de près de 27.000 vers composés dans les deux dernières décennies du XIIe siècle. Au cours de sa carrière littéraire, il perfectionna son style et soumit ses rimes à des normes de plus en plus strictes. Cette évolution a permis d’établir une chronologie interne de ses productions. Il débuta par une Complainte à caractère autobiographique où le cœur d’un jouvenceau amoureux se dispute avec le corps. Hartmann adapta ensuite l’Erec et Enide de Chrétien de Troyes et introduisit ainsi le roman arthurien dans l’aire germanophone. Le Gregorius date de la même période et occupe une position intermédiaire au sein de l’œuvre de Hartmann. Il atteignit le sommet de son art avec l’Iwein, une adaptation du Chevalier au lion, et un bref récit sur la guérison miraculeuse d’un chevalier lépreux, le Pauvre Henri. Sans modèle direct connu, cette nouvelle puise le motif de la guérison de la lèpre par le sang dans la légende de saint Sylvestre, mais remplace l’empereur Constantin par un chevalier souabe. Conservé dans 34 manuscrits et fragments, l’Iwein est de loin le plus grand succès de Hartmann. Ce roman fut souvent cité par les contemporains et la postérité. Par le nombre des manuscrits, le Gregorius occupe la seconde place, mais sa réception dépasse celle du roman arthurien qui donna lieu à une seule réécriture, l’Iban d’Ulrich von Füetrer († 1493/1502). Hartmann ne fut jamais cité explicitement pour son récit du Bon Pécheur qui suscita pourtant de très nombreuses adaptations, d’abord en latin (L1 à L3), puis en allemand (D3 à D9), enfin en Scandinavie (S et IS). Si le récit inclus dans la version continentale des Gesta Romanorum est adapté du Gregorius, l’œuvre de Hartmann se diffusa indirectement par ce biais jusqu’en Hongroie, Pologne et la Russie à l’est et aux Pays-Bas, en France, en Espagne, en Angleterre et en Irlande à l’ouest.

Le premier écho du Gregorius est attesté chez Hartmann lui-même qui reprenait parfois ses propres vers avec des variations. Cet art subtil atteignit son paroxysme dans le Pauvre Henri dont le prologue et l’épilogue sont des mosaïques de citations empruntées à l’Erec, à l’Iwein et au Gregorius. Quinze des dix-huit derniers vers du Gregorius (v. 3989-4006) sont insérés avec des variations soit dans le prologue, soit dans l’épilogue du Pauvre Henri, mais restent reconnaissables (Andersen 2022, p. 449-451). Cette nouvelle reprend aussi les célèbres vers du prologue de l’Iwein où l’auteur se présente comme un chevalier lettré s’adonnant à l’écriture à ses peines perdues (v. 21-24). Le Pauvre Henri commence par les deux premiers vers de cette autobiographie en les complétant par un aveu de l’auteur qui dit traverser des heures difficiles. Pour se consoler, il recherche le réconfort dans l’histoire d’un chevalier de sa propre région. Le héros de la nouvelle est en effet natif d’Aue et s’appelle Henri. Il présente bien des similitudes avec Hartmann, car c’est un chevalier souabe qui compose des poèmes d’amour. Si on lit entre les lignes, la nouvelle peut être interprétée comme un récit à caractère autographique. La maladie du chevalier souabe reflèterait les heures difficiles vécues par le poète, mais aussi la souffrance de l’empereur Henri VI (1165-1197) qui mourut d’une longue maladie chronique à l’âge de 31 ans. « Hartman von Owe » serait alors un pseudonyme. Henri VI est connu pour avoir composé des poèmes d’amour comme Hartmann. La localité dont ce poète se réclame dans toutes ses œuvres peut renvoyer à une myriade de toponymes du Saint Empire, mais aussi être comprise comme le cri de douleur « Ô wê » (ô malheur). Si c’est l’empereur qui adapta la Vie de saint Grégoire en allemand, la fin du Gregorius fait écho à son couronnement le 15 avril 1191 à Rome. À la différence du héros de la version française, Gregorius finit « juge » (v. 3160, 3178, 3497, 3759, 3786 : rihtære), n’est pas canonisé et son action promeut l’honneur de Dieu partout « dans le Saint Empire » (v. 3830 : in rœmischem rîche).

Ultérieurement, cette présentation sommaire du Gregorius sera complétée, notamment par une comparaison avec son modèle français.