EN2 : Eufemius a riche emperour

Présentation

Édition : Peter Andersen

Collaboration : Philippa Bright

Description succincte

  • Témoins : 1 manuscrit
  • Sigles : EN2
  • Longueur totale des témoins : 7 pages
  • Témoin publié et transcrit : EN2
  • Longueur du témoin publié : 420 lignes et environ 5800 mots
  • Référence numérique : lignes du témoin transcrit
  • Auteur : anonyme
  • Lieu : Angleterre
  • Date : 1400/1460, probablement 1450/1460
  • Source : L5

Facsimilés

  • EN2 (c. 1460 ; Londres BL, Harley MS 7333, fol. 194vb-196va, encore indisponible en ligne)

La seconde version anglaise est une traduction fidèle de la version insulaire des Gesta Romanorum, qui n’est guère antérieure à 1400. Elle est conservée dans un in-folio incomplet de la British Library. Ce manuscrit contient une collection de 32 textes selon le décompte de Philippa Bright. Ils se regroupent en sept sections selon leurs cahiers et leurs copistes. Initialement, le manuscrit devait se composer de 32 quaternions, soit 256 feuillets. Une foliotation ancienne en romains s’y rapporte. Quatre cahiers entiers et plusieurs feuillets isolés sont perdus de sorte qu’il ne reste que 211 feuillets numérotés au XIXe siècle jusqu’à 211. La collection inclut de nombreux classiques de la littérature moyen-anglaise, par exemple les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer († 1400), mais aussi des textes de John Gower († 1408), Thomas Hoccleve († 1426), Richard Sellyng (fl. 1450) et John Lydgate († 1451), ainsi que des œuvres anonymes telle la traduction des Gesta Romanorum. La copie de ces textes a commencé entre 1450 et 1460 et s’est étalée sur une longue période. On peut distinguer huit ou neuf mains. Celle qui a copié les Gesta Romanorum, le scribe D selon Mooney, a réalisé 14 des 28 cahiers conservés, soit environ la moitié du manuscrit. Son premier cahier est le septième (Mooney 2003, p. 198). La copie du Bon Pécheur date donc vraisemblablement de la sixième décennie du XVe siècle. La recherche ancienne a cru reconnaître parmi les différentes mains celle de John Shirley († 1456), un scribe connu pour avoir transcrit des œuvres de Chaucer et Lydgate. Cette piste est aujourd’hui abandonnée. Il est en revanche avéré que Harley MS 7333 repose au moins partiellement sur des manuscrits perdus de Shirley, mais peut-être la section avec Gesta Romanorum copiée par cinq mains différentes.

Certains indices suggèrent que le manuscrit fut commandité par l’abbaye augustinienne de Sainte Marie aux Prés qui se trouve à Leicester. Deux personnes ayant noté leurs noms, William Stoughton (fol. 41r) et John Peny (fol. 150r), appartenaient à cette abbaye à la fin du XVe siècle, le premier comme chanoine en 1485, le dernier comme abbé à partir de 1496. Leur lien avec l’abbaye est trop tardif pour les identifier comme des scribes. Il n’est pas sûr que le manuscrit fût réalisé à Leicester. L’abbaye a pu confier sa réalisation à des scribes professionnels d’une autre région.

Le manuscrit fut vendu en 1698 à Londres selon le catalogue de vente de la collection de Sir Norton Knatchbull (1602-1685). L’acquéreur était très vraisemblablement Lord John Somers (1651-1716) selon un catalogue de vente de ses livres (MS Harley 7191, fol. 153, cf. Kline 1990, p. 50). Il passa ensuite au beau-frère de Somers, Joseph Jekyll (1663-1738), et fut en 1738 acquis par Edward Harley, comte d’Oxford (1689-1741) selon un ex-libris (fol. 1r). Il fut ensuite revendu en 1753 par la veuve du comte avec 10000 autres livres et manuscrits de son défunt mari. La collection Harley est l’un des trois fonds principaux de la bibliothèque du British Museum, aujourd’hui transférée à la British Library.

Si les autres textes de la collection ont suscité un vif intérêt parmi les anglicistes, la traduction des Gesta Romanorum n’a pas fait couler beaucoup d’encre. En 1807, Francis Douce fut le premier à signaler son existence. Il expliqua qu’elle contenait 70 chapitres et supposait que l’un des auteurs des autres textes du manuscrit, Gower, Lydgate ou Hoccleve, avait aussi réalisé cette traduction. Douce la data du règne de Henri VI (1422-1471). En 1838, Frederic Madden publia les 70 chapitres du manuscrit avec quelques commentaires sommaires. Le Bon Pécheur en est le chapitre 61. En 1879, Sidney J. H. Herrtage publia la seconde et pour le moment dernière édition des mêmes chapitres.

Dans un intervalle de quelques décennies, les Gesta Romanorum ont connu trois, voire quatre traductions anglaises différentes. Madden pensait à tort que le recueil n’avait été qu’une seule fois en anglais et que les différences entre les versions vernaculaires étaient dues à des remaniements « with material alterations, and the language considerably modernised » (1838, p. xvii). Les différentes versions sont assez proches et toutes issues de la tradition insulaire qui se caractérise par une série de changements, notamment de nouveaux noms propres. Le Bon Pécheur s’appelle Frendricus à la fois dans la version latine que la traduction anglaise. L’enfant est trouvé non pas par un pêcheur, mais par un roi qui le confie à un chevalier. La pénitence finale sur le rocher conduisant à l’élection comme pape est remplacée par un pardon immédiat lors d’une confession dans le pays de la mère. L’allégorèse est enfin profondément remaniée et truffée de nouvelles citations, empruntées souvent à l’évangile selon saint Jean. Toutes ces modifications remontent à la version latine. La version anglaise de l’histoire du Bon Pécheur en est une traduction très fidèle.

Trois manuscrits de la seconde moitié du XVe siècle ou des toute premières années du siècle suivant conservent la première version anglaise des Gesta Romanorum : celui avec le Bon Pécheur (sigle A), un in-quarto en papier avec 32 chapitres (Cambridge UL, MS Kk.1.6, fol. 216r-242v, sigle B) et un autre in-quarto en papier avec 20 chapitres dont le premier et le dernier sont incomplets (Gloucester, Cathedral Library, MS 42, olim 22, seul texte, sigle C). L’in-quarto de Gloucestor fut signalé en 1954 par Derik S. Brewer, puis édité en 1971 par Karl Inge Sandred. Nous avons doté les manuscrits de sigles selon le nombre de chapitres qu’ils contiennent. Ils représentent probablement une seule et même traduction à partir d’un modèle issu d’un groupe de 12 manuscrits latins ayant 101 chapitres en commun, le groupe 1 selon Philippa Bright (2019, p. lxxxix-xci). Une autre traduction est conservée dans un autre in-folio en parchemin avec 40 chapitres issus des Gesta Romanorum (Londres BL, MS Additional 9066, fol. 5r-87v, cf. Herbert 1910, p. 255-262, sigle D).

L’un des manuscrits du groupe 1 est MS Harley 2270 (L5-22 selon notre nomenclature). Il était connu de Madden qui avait remarqué sa forte parenté avec la traduction anglaise. Bien que les commentaires de Madden soient souvent inexacts, cette observation est juste. Les 70 chapitres d’A y ont tous une correspondance latine. Par rapport à A, D inclut 15 chapitres supplémentaires que l’on retrouve aussi tous dans le groupe 1, l’un d’entre eux seulement dans MS Harley 2270 (ch. 100 = ch. 17 de B). B est proche de D et ne contient aucun chapitre supplémentaire. C concorde à partir du chapitre 13 avec A et B dans la sélection des chapitres et leur formulation. Les chapitres 4 à 12 se trouvent aussi dans A et D mais constituent une autre version. Les trois premiers chapitres de C ne se trouvent dans aucun autre manuscrit (Sandred 1971, p. 108-109). Les douze premiers chapitres de C sont issus d’une nouvelle traduction d’après Sandred.

On retrouve cette autre traduction anglaise dans une édition avec 43 chapitres publiée sans date à Londres par Wynkyn de Worde, probablement vers 1510. Ces chapitres sont apparemment traduits d’un autre manuscrit latin, sans doute MS Harley 5369, car il contient exactement les mêmes chapitres et dans le même ordre. Il y manque l’histoire du Bon Pécheur. Ce manuscrit appartient avec sept autres au groupe 3 selon le classement de Bright (2019, p. c-ci, sigle H3). La traduction représentée par l’édition de Wynkyn de Worde connut un immense succès. Une première réédition parut vers 1525 sans changement, une autre à 1577 avec des révisions. Le corpus des chapitres était néanmoins le même. Celui qui révisa l’édition de Wynkyn de Wprde était le publiciste londonien Richard Robinson. Dans un manuscrit de 1603 intitulé « Eupolemia » (bonne guerre), il recense toutes ses publications entre 1576 et 1602. Il revendique six rééditions anglaises des Gesta Romanorum entre 1577 et 1602, mais seules celles de 1595, 1600 et 1602 sont conservées. Il attribue à tort la traduction éditée par Wynkyn de Worde à l’antiquaire John Leland (1506-1552), né beaucoup trop tard. La révision de Robinson fut réimprimée jusqu’en 1713, parfois avec des chapitres supplémentaires, mais jamais celui sur le Bon Pécheur. Si l’on inclut les trois éditions perdues de la fin du XVIe siècle, la révision de Robinson parut au moins 25 fois entre 1577 et 1789. Elle fut pendant un moment concurrencée par une autre traduction anglaise issue cette fois-ci de la version continentale. Celle-ci parut trois fois entre 1703 et 1722 et fut signée des initiales B.P., pour Bartholomew Pratt selon Madden (1838, p. xix). Ce traducteur se servit selon le titre d’une édition latine de 1514 (donc de L6-32 ou L6-33) et en sélectionna 45 chapitres. Le Bon Pécheur ne fut pas retenu cette fois-ci non plus. Il fallut attendre 1824 pour que ce chapitre soit imprimé en anglais. Le traducteur était le révérend Charles Swan. Il eut recours à une édition de la Vulgate avec 181 chapitres, mais n’expliqua pas quelle édition précise il traduisit, peut-être une des éditions vénitiennes (1824, p. liii). Cette traduction complète des Gesta Romanorum fut rééditée sept fois jusqu’en 1905. Pour des raisons inconnues, Swan fit de l’histoire du Bon Pécheur le premier chapitre alors qu’elle est toujours le chapitre 81 dans les 51 éditions anciennes connues. La dernière traduction anglaise en date des Gesta Romanorum est celle publiée en 2019 par Bright pour accompagner son édition du manuscrit Douce MS 310 (son sigle D1, le nôtre L5-9).

Il ressort de cette présentation que la tradition anglaise des Gesta Romanorum est fort complexe. Il n’en reste pas moins qu’un seul témoin anglais contient le récit sur le Bon Pécheur. Cette histoire échappa pour ainsi dire au rejet lors des deux premières sélections successives du XVe siècle, la première effectuée par le rédacteur de la version insulaire latine. Celui-ci ne retient qu’environ 101 histoires sur un corpus qui compte plus que le double dans le manuscrit d’Innsbruck (L4-1) et près du double dans l’édition princeps de Cologne (L6-1). Lors de la première traduction anglaise, cette sélection insulaire fut réduite de 101 à 70, mais un seul des trois scribes qui en firent des copies retint l’histoire du Bon Pécheur. Un autre traducteur opta pour un corpus bien plus réduit de 43 histoires lorsqu’il réalisa vers 1500 la version qui est représentée à la fois par la première partie du manuscrit de Gloucester et l’édition de Wynkyn de Worde. Les tableaux synoptiques de Madden, Herrtage, Brewer, Sandred et Bright rendent compte des correspondances entre les versions latines et anglaises d’une part, et les versions manuscrites et imprimées d’autre part, mais il n’existe pas encore d’étude détaillée de la question.

Le manuscrit unique avec le Bon Pécheur a un titre détaché abrégeant l’incipit à quatre mots : « Eufemius a riche emperour ». C’est le titre utilisé par les deux éditeurs. Herrtage ajouta un sous-titre entre parenthèses : « The Legend of the Life of Pope Gregory » (1879, p. 250). Il voulait simplement indiquer l’origine du récit. Dans sa description du manuscrit A, John Alexander Herbert appela à son tour le chapitre 61 « Romance of Gregory » (1910, p. 255) bien que le protagoniste s’y appelle Frendricus. Murdoch critiqua le choix de Herrtage sans proposer un autre titre (2012, p. 150). Dans son édition de la version insulaire latine, Bright s’inspira de Herbert et intitula le chapitre 69 du manuscrit Douce MS 310 « Romance of Gregory ». Elle aurait aussi pu l’appeler « Romance de Frendricus ». Nous retenons le même titre que Madden et Herrtage, car c’est celui choisi par le copiste du manuscrit unique.