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D’un côté il ne faut pas s’en étonner ; car il y a des moments où le chagrin ne le permet pas[33]. Quant à moi j’ai maintes fois remercié Dieu de m’avoir permis de rentrer sain et sauf, et en effet cela mérite bien de la gratitude, car nous vîmes quotidiennement le spectacle de nos compagnons jetés dans les profondeurs de la mer[34]. Il n’y a là rien d’étonnant, car toutes nos victuailles étaient si peu cuites et mauvaises, qu’elles nous rendaient malades. Ces victuailles consistaient par jour en 36 demi-onces de biscuits[35], distribués en trois rations : le matin à 7 heures, à midi et le soir à 6 heures. En ce qui concerne la viande, c’étaient 16 demi-onces par jour, soit du lard salé, soit du bœuf ; elle était cuisinée pour être servie au repas de midi. Mais cette viande était à ce point salée que la soif était tout le temps plus grande que la faim. Tandis que le soir il fallait se contenter d’une méchante soupe aux fèves, ou à quelque chose d’équivalent, à laquelle on avait ajouté de l’huile. Pour quelqu’un qui n’avait encore jamais rien vu de tel, il suffisait de voir ce cuisinier, un vrai souillard, et c’en était fait de son appétit ; mais quand on n’a rien d’autre, que l’on ne peut se procurer autre chose, on se résigne à trouver cela bon. Le dicton ne dit-il pas que

Einestheils ist sich nicht zu verwundern, dann es kommen Zeiten daß es die Verdrießlichkeit nicht zuläßt. Doch aber habe ich Gott schon vielemal ge-danckt um die glückliche Zurückkunfft und Ge-sundheit, weil es auch in der That dankenswürdig ist, weilen wir gesehen täglich unsre Mitbrüder in die Tieffe des Meers werffen. Keine Verwunderung ware aber dabey zu bemercken dann alle unsre Lebens-mittel waren rauh und schlecht genug uns zu ver-derben. Diese Lebensmittel bestunden täglich aus 36 Loth Zwieback, welche aber in 3 Theil gegeben wurden : Des Morgens am 7 Uhr, Mittags am 12 Uhr, des Abends am 6 Uhr. Was das Fleisch anbelangt ware 16 Loth des Tages, entweder ge-saltzner Speck oder Rinds-Fleisch und wurde täglich auf den Mittag zugerüstet! Dieses Fleisch aber ware dermassen gesaltzen daß der Durst alle Zeit grösser als der Hunger ware. Des Abends aber mußte mit einer schlechten Suppe mit Öhl geschmeltzt verliebt genommen werden welche von Säu-Bohnen und dergleichen zugerüstet wurde. Es sollte aber nur jemand der es noch niemahl gesehen hat diesen schnutlichen Koch betrachten, so verging ihm schon aller Appetit zum essen doch aber wann man nichts anders hat und auch nichts bekommen kan läßt man es sich doch wohl schencken : weil das Sprichwort laudet

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Strasbourg, Médiathèque André Malraux, ms f 15, p. 13.

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 Notes

33. Note de traduction : « le » = qu’on éprouve une profonde ferveur religieuse.
34. Il faut prendre cette information avec précaution. Si des hommes passaient par dessus bord tous les jours, comment se fait-il que Flohr n’en mentionne pas une seule occurrence, qu’il ne raconte aucune anecdote de ce type, alors qu’il est si dissert en d’autres circonstances ? Même s’il est avéré que la mer est un milieu considéré comme hostile, que Claude Blanchard évoque la disparition d’un matelot (Guerre d’Amérique 1780-1783, Journal de Campagne, L. Baudoin et Cie, Paris, 1901, p. 18), il est préférable de regarder cette assertion comme un élément discursif qui participe à la construction d’un discours sur le monde marin marqué par le danger et la peur.
35. L’once est une unité de masse, elle équivaut à une trentaine de grammes (entre 24 et 33 selon les lieux).