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c’est là, par un si beau temps et tout près des terres que nous aurions dû périr.

davon gekommen und nun jetzt bey einem so schönen Wetter gantz nahe am Land zugrund gehen.

Le même jour, vers 10 heures du soir, le navire de guerre La Bourgogne[307] nous rejoignit, passa très près de nous, et on put se parler pendant environ une demi-heure, le temps qu’il resta près de nous ; puis ce navire reprit sa route, et quand il se fut éloigné de nous d’une portée de tir de fusil[308] en direction des terres, nous entendîmes un effroyable craquement. Le navire avait si gravement heurté un rocher qu’il se disloqua. Dès que nous eûmes entendu cela nous fîmes aussitôt demi-tour à droite, en direction de la haute mer. Au lever du jour nous cherchions du regard les terres que nous avions vues la veille, mais elles avaient disparu, parce que pendant la nuit nous avions dérivé de plus de 50 heures vers le large.

Den nemlichen Tag abends gegen 10 Uhr kame das Kriegschiff La Bourgongne welches gantz nahe bey uns vorbeyfuhre und auch mit uns redete, es hiel-te sich ohngefähr eine halbe Stund lang bey uns auf ; alsdann fuhre es wiedrum seinen Weg, es wahre ohngefähr einen Bichsen-Schuß weit von uns entfernet gegen dem Lande, alsdan höreten wir es schon krachen daß entsetzlich ware. Dieses Schiff fuhre auf einen Felßen daß es gantz zerscheiderte. Sobald wir daß gehöret hatten machten wir gleich Rechts-Umkehrt gegen dem hohen Meer. Sobald es Tag ware sahen wir uns um nach dem Land allwo wir den Tag vorher gewesen seyn, aber es ware kein Land mehr vorhanden, weilen wir die Nacht über 50 Stund weit aufs hohe Meer hinaus gefahren seyn.

En ce qui concerne le navire fracassé contre le rocher, il resta échoué à moitié disloqué pendant la nuit noire avec ses 954 hommes. Ceux-ci périrent presque tous, sauf 35 d’entre eux qui avaient trouvé refuge à l’avant du navire, qui n’avait pas encore sombré.

Was das verunglückte Schiff auf dem Felßen anbelangt saße noch bey dunckler Nacht halb zerscheidert alda worauf waren 954 Mann. Diese seynd alle zugrund gegangen biß auf 35 Mann welche sich noch auf dem Vordertheil vom Schiff errettet hatten welches noch frey vom Wasser ware.

Ceux qui avaient pu sauver leur vie durent attendre 5 jours sans manger ni boire, jusqu’à ce qu’une frégate de Curaçao vînt les chercher.

Diejenige so das Leben noch errettet hatten mußten 5. Tage lang ohne gessen und ohne getruncken seyn, biß sie abgeholt wurden durch eine Fregat von Ciracau.

[réclame]

den

https://gallica.bnf.fr/iiif/ark:/12148/btv1b10110846m/f119/pct:0,0,50,100/,700/0/native.jpg

Strasbourg, Médiathèque André Malraux, ms f 15, p. 236.

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 Notes

307. Le navire de guerre La Bourgogne est un vaisseau de 74 canons, lancé en 1766 (à ne pas confondre avec le navire Le Duc de Bourgogne). Il fait partie de l’escadre de Grasse en Amérique. Après la bataille des Saintes (9-12 avril 1782), La Bourgogne rejoint Boston en août et une partie du régiment Bourbonnais embarquent à son bord. Dans la nuit du 3 au 4 février 1783, entre l’île de Curaçao et Porto Cabello, La Bourgogne s’échoue près de la pointe d’Ubero le long de côte de Coro (au nord du Venezuela). Le récit de Flohr est une évocation de seconde main, car il n’a pu assister directement au naufrage du navire, la nuit, alors qu’il est éloigné d’au moins « la portée d’un tir de fusil ». « L’effroyable craquement » entendu par les occupants de l’Île de France est lui-même sujet à caution, puisque La Bourgogne se serait échoué sur un banc de sable. Par contre, le récit des faits suivant le naufrage concernant la conduite des officiers et des matelots rejoint plus ou moins celui des autres versions disponibles. La caractéristique de ce malheureux incident est le comportement des officiers et du capitaine Champmartin qui abandonne son équipage et son navire. Champagnac (Jean-Baptiste-Joseph), Histoire Abrégée des Naufrages, ou extraits fidèle des relations tant anciennes que récentes des naufrages ou autres sinistres maritimes, Fruget et Brunet Libraires, Paris, 1836 ; Lettre d’un officier de l’armée de Rochambeau par le Baron Ludovic de Contenson, le Correspondant du 25 mars 1931, p. 75.
308. La portée de fusil est une unité de distance officieuse propre aux militaires. Elle correspond environ à une centaine de mètres.