E1 : Gregorio

Présentation

Édition : Peter Andersen

Collaboration : Aitor Codina Guillén (transcription), Santiago Fernández Mosquera (bibliographie)

Description succincte

  • Témoins : 6 éditions
  • Sigles : E1-1 à E1-6
  • Longueur totale des témoins : 54 pages
  • Témoin publié et transcrit : E1-1
  • Longueur du témoin publié : 206 lignes et environ 1640 mots (E1-1)
  • Référence numérique : lignes de l’édition princeps E1-1
  • Auteur : Juan de Timoneda
  • Lieu : Espagne, probablement Valence
  • Date : 1567
  • Source : L6

Facsimilés

  • E1-1 (Valence, Juan Mey, 1567 ; Madrid BN, R/12531, fol. 29v-33v)
  • E1-2 (Alcalá de Henares, Sebastian Martinez, 1576 ; Madrid BN, R/13347, fol. 30v-34v)
  • E1-3 (Barcelone, Jaime Sendrat, 1578 ; Madrid BN, R/11984, fol. 24v-27v)
  • E1-4 (Bilbao, Mathias Mares pour Juan Ruelle, 1580 ; Madrid BN, R/6302, fol. 35v-40v)
  • E1-5 (Séville, [sans imprimeur], 1583 ; Göttingen, 8 FAB II, 434, fol. 30v-34v)
  • E1-6 (Madrid, Manuel Martin, 1759 ; Vienne NB, 26462-A ALT MAG, p. 59-68)

Portrait de Timoneda 1569 (détail)

Portrait de Juan de Timoneda, in : El Sobremesa y Aliuio de caminantes, 1569, fol. 1r
Biblioteca Valenciana, XVI/594


La première version espagnole de la légende du Bon Pécheur fait partie d’une collection de 22 histoires publiées en 1567 à Valence par Juan Timoneda. Dans une lettre au lecteur, il explique pourquoi il a appelé son recueil « patrañuelo ». Il dérive ce néologisme qu’il a lui-même forgé du nom féminin « patraña » qui désigne une histoire de fiction, voire un canular. Timoneda insiste sur la fonction divertissante de ses histoires qu’il compare aux nouvelles toscanes, autrement dit au Décamérone. Non sans ambition, il se présente donc comme un disciple de Boccace et entend introduire la nouvelle en Espagne. Il compte en effet parmi les précurseurs du Siècle d’or et connut un succès certain qui n’équivaut toutefois pas celui de son modèle italien qui lui a livré la matière à plusieurs de ses histoires.

Juan Timoneda est né à Valence vers 1520. Il se marie en 1540 et aura quatre enfants. En 1547, il devient libraire dans sa ville natale et entame parallèlement une carrière littéraire. Son œuvre variée se compose de poésie, de comédies et de prose. Aujourd’hui, il est surtout connu pour le Patrañuelo. Il décède à Valence en 1583. Son portrait reproduit dans cette page est une xylographie répétée quatre fois dans une édition de 1569. Dans le cadre, il se présente en capitales inversées comme « IOANES TIMONEDA VALENTINVS ».

Son adaptation de la légende du Bon Pécheur est très originale. Il campe l’action dans un royaume fictif qu’il appelle « Palinodia », un mot à la mode au XVIe siècle. Ce pays est gouverné par le roi Gabano dont les deux enfants s’appellent Fabio et Fabela. Dès les premières lignes, le renouvellement de la légende est profond et passe par les noms propres. Après l’inceste, Fabio ne va pas en Terre sainte, mais à Rome dans l’espoir d’obtenir le pardon. Ce motif est emprunté à la fin de la version traditionnelle. Fabela rédige une inscription en quatre vers à rimes embrassées qui transforme l’histoire en prosimètre. Ce quatrain fait écho au prologue qui est composé sur le même modèle. Les épisodes suivants sont plus conformes à la tradition. L’enfant est baptisé Gregorio par un abbé et grandit dans une famille de pêcheur. L’agresseur de Fabela est un prince de Bourgogne. Équipé par l’abbé pour la chevalerie, Gregorio libère le royaume de sa mère et laisse magnanimement la vie à son adversaire vaincu pour ne pas paraître comme une brute. Quand il s’apprête à épouser sa mère et à commettre lui-même l’inceste, l’histoire prend un nouvel tournant. Fabela découvre les tablettes à temps pour éviter la catastrophe. C’est ici où la légende sombre normalement dans une crise morale et théologique que Timoneda abandonne sa source pour imaginer un happy end laïc. Il se dit que le sénéchal qui a aidé Fabela au début de l’histoire a pu mourir dans la guerre contre le prince de Bourgogne. Il fait ainsi de sa femme une veuve disponible pour épouser le héros. L’histoire de Timoneda ne se termine pas par une élection à Rome, mais par un mariage de substitution. La reine Fabela demande donc à son fils d’épouser la veuve du sénéchal. Celle-ci doit avoir son propre âge et donc au moins deux fois celui de Gregorio, mais peu importe. Fabela opte elle-même pour la chasteté et son fils devient roi, comme annoncé dans le quatrain initial. Tout finit bien.

Le quatrain qui introduit cette histoire sert à la fois de titre et de sommaire. Par simplicité, nous avons opté comme titre pour le nom du protagoniste qui ne prête pas à confusion avec les autres versions. Pour transformer la légende sur le péché et la pénitence en un léger conte de divertissement, Timoneda s’est avant tout servi de son imagination. Au départ, il s’est toutefois inspiré des Gesta Romanorum. Un lecteur de la réédition de 1759 l’a signalé dans une note manuscrite (cf. Salvé y Mallen 1872, p. 185). D’autres histoires du Patrañuelo proviennent également de ce recueil, notamment la onzième qui repose sur le chapitre 153 de la Vulgate. C’est l’histoire d’Apollonius de Tyr. Ces deux histoires font aussi partie du Violier où celle d’Apollonius de Tyr constitue le chapitre 125. Il n’y a cependant aucune raison de croire que Timoneda eut recours à la traduction française des Gesta Romanorum dont la dernière édition parut vers 1530. Il se servit probablement de l’une des toute dernières éditions de la version latine, peut-être de la dernière de 1555. Elle parut seulement douze années avant le Patrañuelo. Les 18e et 21e histoires du Patrañuelo s’inspirent des Gesta Romanorum (Ruiz Mocuende 1973, p. xxv).

Le recueil espagnol connut cinq éditions du vivant de l’auteur et atteignit en 16 ans tous les coins de l’Espagne : Valence (1567), Alcalá de Hernares près de Madrid (1576), Barcelone (1578), Bilbao (1580) et Séville (1583). La sixième édition ne parut qu’en 1759 à Madrid, avec deux histoires en moins. L’éditeur, Joseph de Afranca y Mendoza, dédia cette publication à un parent, Francisco de Afranca y Mendoza, vicomte de San Miguel de Otero. Aucun des deux n’a acquis une quelconque notoriété. Le Patrañuelo connut une véritable renaissance à partir du milieu du XIXe siècle et jouit aujourd’hui d’une grande popularité en Espagne. Il paraît souvent en livre de poche et le nombre précis des rééditions est encore inconnu. Le succès du Gregorio est ainsi comparable à celui du Gregorius de Hartmann mais se limite à l’Espagne. À ce jour, le Patrañuelo n’a connu qu’une seule traduction, en allemand en 1990. La traduction que nous proposons ici du Grégorio est la première en français.