NA : Son père était son oncle et sa mère sa tante

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Présentation

Édition : Peter Andersen

Description succincte

  • Témoins : 1 manuscrit
  • Longueur totale des témoins : 14 pages
  • Témoin de référence : manuscrit de 1883
  • Longueur du témoin de référence : 14 pages et 318 lignes (8 pages, 233 lignes et 2248 mots dans la traduction allemande)
  • Référence numérique : ligne du témoin de référence (provisoirement les lignes de la traduction allemande)
  • Auteur : Isa, diacre de la région de Tiari, au sud-est de la Turquie (copiste)
  • Lieu : probablement la région de Tiari
  • Date : 1883 (date du manuscrit)
  • Source : probablement A

Facsimilés

  • NA (Berlin SB, Sachau 337, fol. 10v-16v, 18r)

Traduction allemande (1896/2025)

Structure

  • 21 épisodes : 1 (1-10), 3 (10-20), 4 (20-24), 5 (24-26), 7 (27-37), 10 (38-60), 11 (60-65), 13 (66-86), 14 (86-89), 15 (89-100), 16 (101-107), 17 (108-122), 18 (123-139), 19 (140-154), 20 (154-164), 21 (164-171), 23 (172-197), 22 (198-208), 23 (208-210), 24 (210), 25 (210-228), 26 (228-233)
  • 43 répliques : 21, 23, 24, 32, 42, 48, 49, 50, 54, 56, 66, 69, 73, 75, 77, 77, 81, 82, 86, 90, 97, 113, 122, 127, 129, 133, 133, 137, 141, 143, 145, 150, 161, 176, 178, 179, 201, 208, 213, 219, 222, 224, 225 (dont deux avec incises : 82, 134)

NA-10v (1883) Berlin SB (détail)

Son père était son oncle et sa mère était sa tante, 1883, fol. 10v
Berlin SB, Sachau 337


Un texte néo-araméen copié en 1883 à Alqosh dans le nord de l’Iraq actuel suit de près la trame narrative de la légende du Bon Pécheur et dépend très vraisemblablement de la version arabe que nous désignons par le sigle A. Le texte est conservé dans une copie unique réalisée par l’intermédiaire de Samuel Gamil, père du monastère Notre-Dame des Moissons, pour l’orientaliste allemand Eduard Sachau (1845-1930), professeur de littérature orientale à la Friedrich-Wilhelms-Universität de Berlin. Sachau avait voyagé en Syrie et en Mésopotamie entre 1879 et 1880, mais n’était plus sur place lors de la réalisation de ce manuscrit conservé aujourd’hui à Berlin (Sachau 337).

C’est un manuscrit bilingue de 79 feuillets contenant 18 récits numérotes et un registre de 51 livres provenant des monastères de Notre-Dame des Moissons et de Rabban Hormizd, tous deux situés à proximité d’Alqosh, et transférés en 1883 au patriarche de Mossoul. Les 18 récits sont tous copiés par la même main, celle d’Isa, un diacre d’Alqosh. Il appartenait à la tribu Tiari et était originaire de la province Hakkari dans le sud-est de la Turquie actuelle. Les 18 récits sont d’origine diverse et de longueur variable. Celui proche de la légende du Bon Pécheur en est le troisième et porte un titre signifiant « Un autre conte ‘Son père était son oncle et sa mère sa tante’, extrait du livre des Nestoriens, un recueil de contes » (en allemand dans Lidzbarski 1896, II, p. 56). Nous retenons ce titre dans sa traduction française. Les trois premiers récits sont les seuls à porter un titre explicite. Les autres s’intitulent seulement « Un autre conte ». Ils campent souvent l’action dans la région du copiste (nº 4, 5, 10, 14-17) et relevènt donc clairement d’une tradition locale. Le manuscrit ne contient aucun renseignement sur le « livre des Nestoriens » qui semble avoir été copié pour les trois premiers récits.

Le manuscrit est bilingue avec un double texte à deux colonnes sur chaque page. L’original néo-araméen se trouve à droite. Il est copié dans l’alphabet syriaque. La colonne de gauche contient une traduction arabe copiée dans l’alphabet arabe. Elle suit fidèlement les lignes de l’original néo-araméen, mais est assez approximative et ne traduit pas les mots les plus difficiles. Le traducteur est anonyme. Son texte fut remis pour révision à Jeremias Schamir à Mossoul, mais celui arrêta son travail après avoir inscrit quelques notes dans la marge de la première page. Sur un billet inséré entre les premier et troisième feuillets, il critique sévèrement la langue et l’écriture du manuscrit (Lidzbarski 1894, p. 225-226).

La langue du manuscrit qui est l’unique témoin de la littérature des chrétiens de Tiari a été étudiée en 1894 par le philologue allemand Mark Lidzbarski (1868-1928), un élève de Sachau qui le chargea d’éditer les manuscrits néo-araméens qu’il avait réunis. Malgré une brouille avec son maître, Lidzbarski publia l’édition en 1896. Son premier volume contient 59 récits néo-araméens, ainsi que six poèmes et quelques discours. L’intégralité des 18 récits du manuscrit Sachau 337 est éditée. L’édition est dépourvue de notes et ne s’accompagne pas de la traduction arabe. Le second volume de Lidzbarski est une traduction allemande des textes édités. Chaque récit est précédé d’une brève introduction. Dans celle du récit Son père était son oncle et sa mère sa tante, Lidzbarski suppose que le texte néo-araméen remonte à un original grec. Il souligne une forte similitude avec le Gregorius de Hartmann.

Le récit campe l’action en Europe sans plus de précision. Le grand-père du protagoniste est anonyme et simplement présenté comme « roi d’Europe ». Ses deux enfants, Alexandre et Hélène, portent des noms qui les rattachent plutôt à la Grèce. Ils sont anonymes dans le Gregorius de Hartmann et la plupart des autres versions de la légende. Leur fils est également anonyme dans le récit néo-araméen. Celui-ci relate la plupart des épisodes classiques dans le même ordre que Hartmann tout en présentant plusieurs divergences. Alexandre ne meurt pas, mais se retire dans un monastère et demande son absolution à la fin du récit en même temps que sa soeur. Le pêcheur qui conduit le protagoniste au rocher est remplacé par un forgeron qui fabrique les chaînes avec lesquelles le protagoniste s’attache lui-même, non pas sur une île, mais sur la côte. La clef des chaînes qu’il jette aussi lui-même dans la mer n’est trouvée qu’après son départ de la côte. La voix divine qui désigne le Bon Pécheur comme futur pape est remplacé par un prince désireux de désigner un nouveau patriarche. Il n’est pas précisé où le protagoniste accède à cette fonction, mais le contexte dans lequel le récit est conservé suggère qu’il devient patriarche près d’Alqosh. Le monastère Rabban Hormizd était la résidence officielle des patriarches de la lignée Eliya de l’Église de l’Orient entre 1551 et le XVIIIe siècle. C’était le plus ancien et le plus grand siège patriarcal de l’Église de l’Orient. Il est taillé dans les montagnes à environ 4 kilomètres de la ville d’Alqosh au nord de Mossoul. Par le nom de son père, le protagoniste acquiert une illustre ascendance qui l’inscrit implicitement dans la lignée d’un très grand souverain.

Depuis l’édition et la traduction allemande de 1896, le récit n’a suscité que très peu de recherche. Dans un article de 1905, le spécialiste français Émile Galtier (1864-1908), bibliothécaire au Musée des antiquités égyptiennes, attira pour la première fois l’attention sur la similitude du récit avec la version arabe de la légende du Bon Pécheur, éditée en 1888 par Émile Amélineau d’après une copie tardive (A-7). Les principaux accords qui singularisent ces deux textes par rapport à tous les autres sont d’une part l’invitation du père à un festin où il s’enivre avant de rentrer chez lui pour commettre l’inceste avec sa sœur, d’autre part le fait que la mère fasse fabriquer trois tablettes dont celle avec l’inscription présente un texte décrivant les parents comme un oncle et une tante. Dans la version arabe comme dans le récit néo-araméen, l’enfant est aussi confié à un fleuve, se procure un cheval avant de partir à la recherche de ses parents, s’enchaîne lui-même et ressemble à une bête sauvage après sa pénitence. La recherche a envisagé une rédaction du récit néo-araméen dès la période préislamique (Van der Lee 1969 ; Elstein 1986), mais cette datation a suscité de fortes réserves (Murdoch 2012). Les similitudes avec la version arabe sont telles qu’une parenté n’est pas seulement hautement vraisemblable, mais quasiment certaine. Comme la version arabe est en réalité beaucoup plus ancienne que la copie éditée par Amélineau, le récit néo-araméen doit être une adaptation relativement libre de la version arabe. Il s’éloigne davantage de la légende du Bon Pécheur en supprimant notamment le nom de Grégoire que la version arabe attribue encore à l’abbé. La version consignée dans le « livre des Nestoriens » n’est pas forcément très ancienne, mais impossible à dater avec précision. Elle ne remonte en aucun cas à la période préislamique et rien ne suggère qu’elle soit antérieure au XIXe siècle.

Nous prévoyons ultérieurement de réaliser une transcription du texte néo-araméen et rééditons provisoirement la traduction de Lidzbarski. Elle a 233 lignes et 2248 mots, soit deux fois moins que la version arabe éditée par Amélineau.